Studies, Number 11

Répertorié dans le catalogue raisonné de Connor et Thaw sous le nº 530, ce dessin fait partie de la série élaborée lors de la thérapie que Jackson Pollock entreprit en 1939 avec le Dr Henderson, psychanalyste jungien. À chaque séance, l’artiste apportait quelques spécimens de son travail, qui palliaient sa difficulté à s’exprimer : 69 feuilles au total, toutes conservées par l’analyste jusqu’en 1969, année de leur présentation dans l’exposition intitulée « Dessins psychoanalytiques » aux Maxwell Galleries, à San Francisco. Le titre même ouvrait la voie à une lecture jungienne de l’œuvre de Pollock, autorisée par l’artiste, qui se réclamait du fondateur de la psychologie analytique. L’ambiguïté, l’allure chaotique du dessin, où se produit un mélange syncrétique d’éléments primitifs, archaïques ou mythiques, est source d’interprétations plurielles. Surgies d’un geste automatique, les images se développent dans la quête, ensauvagée, d’une « mère dispensatrice » de personnages hybrides et de nombreuses figures féminines, dont les références sont à chercher tant auprès des figures totémiques des Indiens d’Amérique que du Minotaure de Picasso ou des monstres telluriques de Masson.

Le dessin, qui suggère malgré tout un certain souci d’ordonnancement, est constitué d’un motif central bordé d’une sorte de frise, suivant un principe de composition déjà employé dans des peintures comme Guardians of the Secret (1943) ; de même, la manière de griffonner « gestuel » rappelle celle de Circle (1938-1941). Le principal motif, bien assis sur sa base, est délimité par une orthogonalité qui le ferme et lui donne l’aspect sculptural d’une stèle : celle-ci « contient » en son sommet la figure anthropomorphique, ainsi écrasée, qui pourrait être inspirée autant par les représentations mayas que par la faune légendaire des Esquimaux. Pollock procède par emboîtement : la tête enferme une autre tête, tandis qu’apparaît le dessin allusif d’une femme allongée, prise dans un tourbillon d’arabesques ; ces sortes de flammes ou de volutes libèrent, dans leur mouvement, d’autres dessins de spirales ou de roues. Des hachures, quadrillages ou griffonnages, opérés au crayon orange et au Conté, accusent la monumentalité du « bas-relief », dont le volume est donné par un jeu d’ombres et de lumières. La bordure contraste nettement avec ce motif central : traitée en frise de lignes relâchées, désordonnées, elle semble constituer une sorte de « réserve » de motifs en attente de forme ; le tout se déroule dans un processus « automatique » et énergétique d’associations de plus en plus complexes, le simple motif isolé en haut à gauche se déployant progressivement jusqu’à l’envahissement longitudinal final.

Ce dessin précoce de Pollock se présente comme un condensé du pouvoir de la ligne : l’union du graphisme et de la couleur est réalisée au moyen de rehauts picturaux qui permettent de souligner le tracé en l’amenuisant, ou de l’atténuer en l’épaississant. À ce titre, il est inaugural du grand œuvre à venir, attestant la prédilection de l’artiste pour les formes enchevêtrées, entraînées dans un mouvement centrifuge, qui génèrent des rythmes colorés : elles couvriront ses toiles futures jusqu’à l’exploitation, en 1947, du dripping all over .

Claire Stoullig

Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008