Bei Anruf Mord (Le Crime était presque parfait)

Considéré comme un pionnier dans le domaine de la vidéo, l’artiste allemand Marcel Odenbach produit, depuis le milieu des années 1970, un nombre considérable de films, de spectacles, de dessins et d’installations. La procédure du collage fait partie intégrante de son travail de vidéaste. C’est en effet en mêlant des extraits de cinéma classique, de films d’archives et d’actualité à ses propres tournages qu’il explore la manière dont les images du passé façonnent notre perception du présent. Il agit de même dans son œuvre de dessinateur, où ses « papiers sur papiers » accumulent, dans des espaces scénographiés, des strates d’images, de mémoire et d’information différentes. Dans l’un comme dans l’autre, imposant au spectateur le rôle de témoin ou de voyeur, Odenbach examine la notion d’identité à travers l’expérience évanescente de la vision. Dans sa vidéo intitulée Dans la vision périphérique du témoin , tournée à Paris et à Versailles en 1987, des bandes noires découpent l’écran et divisent le regard du spectateur, le plongeant dans un espace sensoriel instable, en perpétuel mouvement, où il est à la fois l’observateur et l’observé.

Le même dispositif organise le récent collage monumental Bei Anruf Mord , dont le titre renvoie au film d’Hitchcock Le crime était presque parfait : vues à une certaine distance, des bandes noires figurent les cadres d’une baie vitrée qui donne sur un vaste panorama urbain, plongé dans une obscurité troublée seulement par quelques éclats de lumière. Deux lampes jaunes brillent de chaque côté, mais il reste impossible de distinguer le dedans du dehors dans cet espace devenu kaléidoscopique par l’effet d’un jeu inextricable de reflets et de perspectives. De près, l’image globale se désagrège en une multitude fourmillante de figures minuscules, photocopiées dans des magazines : bustes d’hommes et de femmes anonymes, figures célèbres des temps passés, image fanée du couple Kennedy, visage de l’artiste, ou encore héros fétiches de films de Hitchcock. À peine visibles ou violemment éclairées, ces silhouettes spectrales flottent dans l’espace, telles des apparitions à peine animées par les encres de couleur et engluées par la couche de colle organique qu’emploie Odenbach. L’espace entier de cette sorte de partition musicale panoptique apparaît comme le reflet de notre incapacité contemporaine à comprendre et à assimiler la complexité bigarrée de la vie.

Anna Hiddleston

Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008