Baltimore

Tout l’œuvre d’Isaac Julien est marqué par sa formation d’origine, entre cinéma documentaire et arts plastiques, et s’engage dans un système de représentation qui renouvelle structurellement le langage filmique, celui de la perception. À partir d’effets de dislocation, de fragmentation des points de vue et des perspectives (écrans multiples, espaces-temps désynchronisés), l’artiste produit des formes qui placent le spectateur au centre d’un espace de remontage critique et politique. Traversé par la question de l’identité noire au sein d’une conception occidentale du monde et d’une culture mondialisée, le travail de Julien cherche à produire un récit actualisé de la créolisation : un espace « déterritorialisé », hétérogène et déconnecté des valeurs culturelles dominantes. Cette conscience politique de l’histoire se retrouve dans Baltimore , que Julien précise avoir réalisé dans la continuité de ses recherches sur le cinéma de la « blaxploitation » des années 1970, fondées sur la figure centrale du réalisateur phare de ce mouvement, Melvin Van Peebles. À la manière d’un thriller, deux personnages (Melvin Van Peebles et Vanessa Myrie) parcourent la ville de Baltimore. Ils traversent ainsi le National Great Blacks in Wax Museum, musée populaire où sont exposées les figures en cire des personnalités noires historiques (Martin Luther King, Malcolm X…), puis le Walters Art Museum, qui conserve une importante collection d’œuvres datant de l’Antiquité à nos jours. Au fil des rencontres, l’artiste assigne à ses personnages un rôle de passeur entre deux histoires parallèles, entre une culture populaire et une culture savante, et crée ainsi une confrontation inédite qui bouleverse la linéarité de l’histoire occidentale.

Stéphanie Moisdon

Source :
Extrait du catalogue Collection art contemporain - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Sophie Duplaix, Paris, Centre Pompidou, 2007