Dessin mescalinien
[1958 - 1959]
Dessin mescalinien
[1958 - 1959]
Domain | Dessin |
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Techniques | Crayon de couleur sur papier |
Dimensions | 40,3 x 30 cm |
Acquisition | Donation de M. Daniel Cordier, 1976 |
Inventory no. | AM 1976-1181 |
On display:
Museum, level 4, Western gallery
Detailed description
Artist |
Henri Michaux
(1899, Belgique - 1984, France) |
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Main title | Dessin mescalinien |
Creation date | [1958 - 1959] |
Domain | Dessin |
Techniques | Crayon de couleur sur papier |
Dimensions | 40,3 x 30 cm |
Inscriptions | Monogrammé en bas à droite : HM. Non daté |
Acquisition | Donation de M. Daniel Cordier, 1976 |
Collection area | Cabinet d'art graphique |
Inventory no. | AM 1976-1181 |
Analysis
Michaux, dans ses écrits et ses dessins, tente de dévoiler des mondes : exploration de terres lointaines ou imaginaires ; observation des mécanismes de la perception et des circuits des sensations ; poursuite de la « phrase intérieure » ; plongée dans l’« espace du dedans ». L’absorption de la mescaline, à partir de 1955, porte à l’acmé cette exigence, quasi scientifique, de connaissance de soi – et donne lieu à la métamorphose majeure de son œuvre dessiné. Cinq ouvrages en sont issus – Misérable miracle (1956), L’Infini turbulent (1957), Paix dans les brisements (1959), Connaissance par les gouffres (1961) et Les Grandes Épreuves de l’esprit (1966) –, et de multiples dessins de grouillements sans fin, au crayon ou à la plume. Michaux y rend compte, avec une précision clinique, des tourments que les hallucinogènes font subir à la conscience, secouée par un rythme infernal « rendant tout différent, méconnaissable, insensé, décoché, faisant tout filer, qu’on ne peut suivre, qu’il faut suivre, où pensées, sentiments, tiennent à présent du projectile, où les images intérieures, aussi accentuées qu’accélérées, sont violentes, vrillantes, térébrantes, insupportables, […] où les objets semblent sertis de minuscules, éblouissantes rigoles de fonte bouillante, où les lignes parallèles et les objets parallèles, indéfiniment répétés et d’autant plus qu’on y pense, brisent la tête de celui qui vainement veut se retrouver dans la pullulation générale. » (« Vitesse et tempo », 1957).
Les Dessins mescaliniens sont exposés en 1959 à la galerie Daniel Cordier. Par leurs formats réduits et la saturation des motifs microscopiques, ils donnent à voir les vertiges de l’infiniment petit et de l’infiniment grand qui envahissent l’esprit. Par la vibration sismographique du trait, ils transcrivent le caractère « fluide, mercuriel par l’éclat, torrentiel par l’allure, électrique par la vitesse » des flux visuels ; par le crayon qui couvre le papier, le scintillement métallique de la vision ; par la charge nerveuse de l’encre, la densité de l’orage optique ; par les effluves de rose, son bourgeonnement intime. Par la lézarde blanche qui court dans certains dessins, ils révèlent la « fissure », d’une aveuglante blancheur, dont Michaux se sent traversé, violenté : « sillon » venu « du bout du monde » avant de « repartir à l’autre bout du monde » (« Moi-même j’étais torrent, j’étais noyé, j’étais navigation », Misérable miracle, 1956). Les expériences ultérieures apportent un apaisement : peu à peu, le flux destructeur se meut en « arbre de vie », en source originelle, qui parcourt l’humain. Michaux parvient alors à la réalisation du projet défini dans « Vitesse et tempo » : « Je voulais dessiner la conscience d’exister et l’écoulement du temps. Comme on se tâte le pouls. »
L’expérimentation de la vitesse permet à Michaux de reprendre, pour les développer de façon magistrale, ses recherches antérieures. Les Peintures à l’encre de Chine de 1959 sont tantôt héritières des Mouvements de 1950, multitude de signes d’encre qui sont autant d’irruptions d’une foule anonyme – son « alphabet » d’origine, parfois aligné en écritures musicales –, tantôt parentes des Taches de 1954 lancées sur le papier : éclaboussures, épanchements toujours véhéments, mais qui gagnent progressivement tout l’espace de la feuille. Bien que proches, formellement, de l’abstraction des peintures all over de Pollock, ces encres demeurent l’expression des tréfonds de la conscience, et de la « fermentation intérieure ». Quant à l’Aquarelle et encre de Chine de 1960, où surgissent, mangés par l’eau, des visages fantômes, elle n’est pas sans rappeler le sentiment de dégoût lié aux Têtes et aux Taches : « Les taches, c’est une provocation. J’y réponds. Vite. […] Tout de suite, avant qu’elles n’étendent leur domaine d’abjection et de vomissements » (cat. exp., galerie Daniel Cordier, 1959).
Anne Lemonnier
Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008