(Sans titre)

Chez Dieter Appelt, le corps n’est pas sujet mais objet de l’œuvre, au même titre que le serait n’importe quel matériau. Il s’agit de suggérer l’impalpable que la seule représentation du corps, fût-il dénudé, ne saurait transmettre. L’artiste, avec ses photographies d’actions dans lesquelles il se met en scène, telle celle-ci, issue de Erinnerungsspur [ Trace de mémoire ], menée de 1977 à 1979, se situe dans la tradition des actionnistes viennois – en particulier dans celle de la « peinture en mouvement » d’un Rudolf Schwarzkogler –, mais sans leur démesure emphatique. Appelt se réfère plutôt à Beuys qu’aux Viennois, bien qu’il partage leurs préoccupations religieuses et esthétiques. Enserré dans des bandelettes, telle une momie, le corps que l’artiste exhibe est un corps géologique , presque réduit à l’état minéral. Il semble ainsi défier le temps, notion qui l’inspire tout particulièrement, peut-être de par sa formation de chanteur, métier qu’il exercera entre 1954 et 1960, avant de se tourner en 1959 vers la photographie. Cet intérêt l’amènera, dans des œuvres ultérieures, à construire ses images par succession de strates, superposant plusieurs photographies sur un même négatif ou multipliant les prises de vues quasiment identiques, comme dans Canto I (1987). À travers une épreuve de nature initiatique qui lui permet de « saisir l’essence du monde sensible », l’artiste accède à une nouvelle temporalité. Il prend le contre-pied de l’évolution du processus photographique qui tend à réduire de plus en plus le temps de pose, cherchant à ce que « chaque cliché soit traversé par une énergie poétique et que s’y impressionnent à [son] insu détails et fragments. »

Alain Sayag

Source :
Extrait du catalogue Collection art contemporain - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Sophie Duplaix, Paris, Centre Pompidou, 2007