Sans titre
[1965]
Sans titre
[1965]
Domain | Dessin |
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Techniques | Encres de couleur sur papier |
Dimensions | 45,7 x 61 cm |
Acquisition | Achat, 1994 |
Inventory no. | AM 1994-102 |
Detailed description
Analysis
La forte charge existentielle, émotive, de l’œuvre de cette artiste d’origine allemande, réfugiée à New York depuis 1939, est présente dans ses dessins du début des années 1960, par lesquels, amie déjà de Sol LeWitt, Robert Ryman, Robert Mangold, et admiratrice de Claes Oldenburg et de Willem De Kooning, elle se fait connaître. L’expression de la souffrance organique qui fondera son travail de sculpteur marque ces premiers travaux, réalisés à l’encre et à la gouache noire dans la pure tradition germanique du dessin. Déjections aqueuses incertaines, retombées d’une matière instable, qui annoncent les textures molles et malléables de ses sculptures à partir de 1965-1967 (latex, résine, fibre de verre), constituent des métaphores du corps viscéral. Trois figures informes coexistent sur la feuille, datée 1960 : trois états de têtes ou de ventres, qui relèvent des mêmes obsessions – corps défaits, crânes, figures précaires arrachées à une ombre funèbre et carcérale – que dans ses œuvres peintes (Sans titre, 1960, musée de Nantes). Ce qui importe, pour Eva Hesse, dans le travail sur le papier, est le fait que les formes auxquelles elle n’a cessé de s’exercer « prennent un caractère personnel et [lui] fournissent un noyau autour duquel construire » (Journal intime, 1960) : elles deviennent les matrices de formes à venir, qui traduisent ses peurs et anxiétés.
Le dessin s’affirme, dès lors, comme le fondement de son œuvre. Le séjour d’un an qu’elle effectue en Allemagne en 1964-1965 avec le sculpteur Tom Doyle est décisif. Hesse s’y consacre presque exclusivement au travail graphique, qui lui procure le plaisir, la liberté que la peinture lui refuse, et duquel la sculpture va naître. Ses dessins deviennent des tracés d’encre virtuels, où est laissé libre cours au déploiement dans l’espace de structures organiques vides, de formes « sans queue ni tête », souvent ovoïdes : ils sont « nets, clairs, mais aussi fous que des machines, avec des formes plus importantes et plus hardies, décrites avec précision », qui « deviennent complètement absurdes ». La ligne dure, coupante, s’émancipe alors pour annoncer celle des cordes ou des ficelles – trouvées dans son atelier-usine – que l’artiste commence à greffer, à suspendre dans l’espace, dans ses premières œuvres en trois dimensions, mi-géométriques, mi-organiques (Ringaround arosie, 1965). À son retour à New York, évoluant en solitaire dans le contexte d’un art dominé par le discours formaliste – celui de Richard Serra, Robert Smithson, Carl Andre –, et rejoignant plutôt Robert Morris sur son concept d’« antiform », Eva Hesse n’en continuera pas moins à revendiquer pour elle-même une posture « romantique », vouée à l’expression de son être individuel.
Agnès de la Beaumelle
Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008