Sans titre

À partir du milieu des années 1970, Julije Knifer pratique le dessin non plus comme étape préparatoire de son œuvre peint, défini par une abstraction géométrique radicale, mais comme forme d’expression à part entière, qui entraîne la réalisation d’œuvres parfaitement autonomes : s’y développe le thème, central chez lui, du méandre, dont la dimension topologique et temporelle pourrait s’approcher de celle, conceptuelle, de Roman Opalka. Knifer cesse même, dans les années 1980, de peindre, pour ne plus se consacrer qu’à cette part la plus austère, volontairement méthodique et réduite, de sa production, avant de la faire de nouveau dialoguer avec une récente série de tableaux muraux, qui se constituent en diptyques ou triptyques.

La technique de Knifer renverse ainsi les temporalités ordinairement associées aux différents médiums de la création : le dessin, habituel réceptacle des éclairs de l’inspiration, est au contraire le fruit d’un processus de création dilaté au long des jours, des semaines et des mois requis par le travail de recouvrement. De même que la figure du méandre est pour lui, qui a décidé d’« habiter la durée », la figure du temps qui s’écoule, de même les couches superposées du graphite – qui, comme les couches géologiques, déroulent leurs aplats verticaux en suites répétitives, obsessionnelles – mesurent le temps et le rythme même de la création : ce sont des strates temporelles autant que des accrétions de matière noire.

Arnauld Pierre

Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008