Paysage

Ce Paysage fut réalisé au cours d'un séjour au Piquey ou Pigney (?) sur le bassin d'Arcachon durant l'été 19151. Il appartient à une série d'études faisant partie des collections du Musée Matisse de Nice et représentant sous différents angles de petits bâtiments ruraux implantés dans la pinède. Le point de vue surplombant, commun à nombre de ces feuilles, permet de laisser apparaître la ligne de l'horizon maritime qui divise la page. A cette horizontale marquée s'oppose la poussée verticale des troncs. Une semblable position du regard avait présidé en 1908 à la composition Vue de Collioure2 présentant un étagement visuel où mer/ciel/toiture formaient trois strates que les arbres du premier plan, traités à contre-jour, venaient barrer. Ce principe d'une vision en grille, à travers le rideau des arbres, est particulièrement lisible dans le Paysage du MNAM.

En observant les dessins de la série, on peut constater une sorte de resserrement progressif sur un thème secondaire, celui de l'arbre. L'étude , tant par sa mise en page oblique que par son style, annonce le fusain exécuté l'hiver suivant, Groupe d'arbres à l'Estaque. Il semblerait que ce thème se soit imposé à Matisse au Piquey lors de séances sur le motif avant de constituer l'objet du travail d'abstraction de la forme tel qu'il le mènera à l'Estaque. Au Piquey, l'autonomisation du sujet arbre paraît liée à ses dimensions hors d'échelle comparée à celles des cabanons et des baraques de pêcheurs. C'est dans ce décalage entre la nature et le construit que s'affirme l'importance d'un motif végétal qui perd le caractère essentiellement décoratif que lui avait conféré Matisse, notamment dans ses Paysages marocains3 pour prendre celui d'une structure auto-signifiante. L'arbre n'y est plus l'élément obligé d'un paysage traditionnel mais une force graphique et symbolique propre : un signe. Dès 1904, dans Luxe, calme et volupté, un pin ébranché constituait l'axe tellurique de la scène du bain. Mais il faudra attendre 1915 pour que l'arbre s'affirme comme une valeur sémantique spécifique. Parallèlement au nu féminin, ce signe de l'arbre formera par la suite le lien récurrent des métamorphoses stylistiques de l'art de Matisse.

Anne Baldessari

Notes :

1. La datation de ce dessin a été avancée par Dominique Fourcade dans Les Cahiers du MNAM, n° 13, 1984, p. 10. Elle nous a été confirmée par Madame Wanda de Guébriant.

2. Vue de Collioure, 1908 (huile sur toile, collection particulière, repr. in Jack Flam, The Man and his Art, 1869-1918, Londres, Thames and Hudson, Ltd, 1986, n° 235, p. 237.)

3. Se reporter aux œuvres : Parc à Tanger, 1912 (huile sur toile, Moderna Museet, Stockholm); Le Jardin marocain, 1912 (huile sur toile, The Museum of Modern Art, New York); La Palme, 1912 (huile sur toile, National Gallery of Art, Washington)

Source :
Extrait du catalogue Œuvres de Matisse, catalogue établi par Isabelle Monod-Fontaine, Anne Baldassari et Claude Laugier, Paris, Éditions du Centre Pompidou, 1989