La visite au mur des lamentations

Classer et répertorier signifie, pour Jean-Jacques Rullier, définir un ordre qui lui est propre et, du même coup, subvertir l’ordre établi, en utilisant le dessin de façon descriptive et appliquée, à la manière de l’encyclopédiste ou du pédagogue. Aussi, c’est avec une curiosité amusée que l’on se penche sur ces inventaires commentés d’objets, de comportements et de rites, qui tendraient vers l’absurdité et le dérisoire si certains détails incongrus ne venaient soudain briser la linéarité d’une logique apparemment familière. Ainsi peuvent se côtoyer, comme dans La Visite au temple protestant, de la série « 6 Visites à 6 lieux de culte », « le bénitier hexagonal » et « le radiateur électrique ». Car le lieu de culte est un lieu de recueillement, mais aussi un lieu de vie, avec ses contraintes matérielles. Dans cette série, chaque édifice religieux est évoqué par son plan. Circonscrits à l’intérieur, les détails visuels relevés avec un œil faussement naïf et les observations qui les accompagnent révèlent des lieux parfois davantage dévolus au tourisme qu’à la prière, ou, au contraire, l’emprise particulièrement prégnante d’une religion. Le dispositif même de présentation des dessins, placés sur des pupitres individuels solidaires d’un siège qui contraint le corps dans une posture correspondant à l’usage oriental ou occidental, participe de ce faisceau de signes minutieusement élaboré par l’artiste pour mettre en évidence, sous couvert de commentaires anodins, les messages d’ordre moral, politique ou religieux qui imprègnent notre quotidien. La méthode quelque peu oulipienne de Jean-Jacques Rullier et son usage du dessin sur un registre mineur constituent les principaux modes opératoires d’un travail qui trouve aussi un prolongement essentiel dans l’édition de livres.

Sophie Duplaix

Source :
Extrait du catalogue Collection art contemporain - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Sophie Duplaix, Paris, Centre Pompidou, 2007