United enemies

La figure occupe une place centrale dans l’œuvre de Thomas Schütte. Dans les premières maquettes, elle apparaît comme indicateur d’échelle sous forme de petits jouets – et par la suite, de silhouettes découpées dans du bois ou du contreplaqué. Une orientation plus réaliste s’affirme dès 1982 avec Mann im Matsch , un petit personnage façonné par l’artiste, comme embourbé sur une plate-forme miniature. À partir du milieu des années 1980, la figure gagne en autonomie, avec des représentations de têtes, de bustes, et l’introduction – pour signifier la présence humaine – dans des dispositifs à échelle réduite, de figurines dont la tête en Fimo (sorte de pâte à modeler) est fichée sur des baguettes entourées de morceaux de tissus provenant des vêtements de l’artiste. Dans la série « United Enemies » – dont l’impulsion première remonte à un séjour de Thomas Schütte à Rome en 1992, période où des scandales politiques étaient portés sur la place publique –, ces êtres ont deux têtes et existent désormais par eux-mêmes. Entravés par des ficelles et voués à partager un tronc commun, ils évoquent la difficulté de toute relation à l’autre et se donnent à voir, au travers d’un globe placé sur une colonne à hauteur d’yeux, comme des objets de curiosité. Leurs visages, modelés, précise l’artiste, pendant une durée qui n’excède jamais une heure pour les maintenir dans des données physiques très générales, rappellent les caricatures de Daumier ou les têtes de caractère de Messerschmidt. Un ensemble de dix tirages offset présenté conjointement avec les pièces, et montrant les visages des figurines démesurément agrandis, met en œuvre de manière remarquablement efficace la manipulation des échelles, principe moteur dans le travail de Thomas Schütte.

Sophie Duplaix

Source :
Extrait du catalogue Collection art contemporain - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Sophie Duplaix, Paris, Centre Pompidou, 2007