La Mandoline, l'OEillet et le Bambou
[1914 - 1915]
La Mandoline, l'OEillet et le Bambou
[1914 - 1915]
Domain | Dessin |
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Techniques | Encre sur papier (trois morceaux de papier dont un avec en-tête du journal "Le Siècle" au revers. Les morceaux de papier sont collés sur papier) |
Dimensions | 27,5 x 21 cm |
Acquisition | Achat, 1985 |
Inventory no. | AM 1985-476 |
Detailed description
Artist |
Guillaume Apollinaire (W. Apollinaris de Kostrowitzky, dit)
(1880, Italie - 1918, France) |
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Main title | La Mandoline, l'OEillet et le Bambou |
Title given | Calligramme de la série "Etendards" |
Creation date | [1914 - 1915] |
Domain | Dessin |
Techniques | Encre sur papier (trois morceaux de papier dont un avec en-tête du journal "Le Siècle" au revers. Les morceaux de papier sont collés sur papier) |
Dimensions | 27,5 x 21 cm |
Inscriptions | Non signé, non daté |
Acquisition | Achat, 1985 |
Collection area | Cabinet d'art graphique |
Inventory no. | AM 1985-476 |
Analysis
Le 8 octobre 1914, Apollinaire fait parvenir à Lou, qu’il a rencontrée le mois précédent, un « poème idéogrammatique » de dévotion amoureuse composé d’une figue (« la mielleuse figue octobrine seule a la douceur de vos lèvres qui ressemblent à sa blessure… »), d’un œillet et d’une pipe à opium. Le feuillet de La Mandoline, l’Œillet et le Bambou en est proche, et assurément contemporain. Le poème sera publié dans « Étendards », seconde partie de Calligrammes (1918), composée entre septembre 1914 et avril 1915. Apollinaire séjourne alors à Nice, puis à Nîmes – derniers moments de liberté avant l’engagement, et de paroxysme érotique avec Lou, qui l’a rejoint. Deux cents lettres ou poèmes à Lou, écrits depuis le front, suivront.
La Mandoline, l’Œillet et le Bambou réunit (sur trois feuillets distincts assemblés) trois objets poétiques en soi : la mandoline, autre lyre ; l’œillet des poètes ; le bambou, pipe des paradis artificiels – chers à Apollinaire et à Lou, qui fument l’opium ensemble. Mais leur dessin évoque aussi, et plus crûment, les sexes féminin et masculin, et le désir ardent qui les unit – dont la fleur est le symbole. Avec cette image, Apollinaire compose une ode au sens le plus subtil, l’odorat. La sensuelle « loi des odeurs », qui est la loi des amants, est appelée à supplanter le primat des « sons qui nous dirigent » (« ô batailles la terre tremble comme une mandoline ») et des « autres raisons formelles ». Les volutes de parfum et de fumée ici convoquées appellent à d’autres voluptés, et à une autre connaissance (« future sagesse »). Le calligramme se développe ainsi en ondes multiples, mêlées, parfois interrompues.
Cette savante polyphonie visuelle participe des expériences poétiques sur la notion de simultanéité, qui suscite depuis 1913 l’effervescence chez les futuristes et les orphistes : Marinetti écrit ses Mots en liberté, manifeste pour une langue dégagée de la syntaxe, jaillissante, à l’image du monde moderne ; Barzun théorise le « dramatisme », écriture symphonique de lignes lues simultanément ; Cendrars publie avec Sonia Delaunay La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France, « premier livre simultané » de mots et de couleurs. S’ajoute à cela, en 1914, l’édition en ouvrage, par la NRF, du poème de Mallarmé Un coup de dés jamais n’abolira le hasard (1897), composition typographique et plastique autant que musicale et poétique. À cette date, Apollinaire est très proche des avant-gardes picturales (il vient de publier Les Peintres cubistes), et il semble bien que la « nature morte » de mots qu’est ce calligramme soit l’écho des tableaux cubistes de Picasso (la mandoline et la pipe, sujets picassiens par excellence). La diffraction des lettres sur la page rompt le fil narratif comme le collage cubiste déconstruit l’espace ; et le langage est délivré de sa charge sémantique, comme le tableau des codes de la figuration. Le poète se fait artiste : Apollinaire ne voulait-il pas intituler son premier recueil d’« idéogrammes lyriques », qui devait paraître en août 1914, Et moi aussi je suis peintre ? Les surréalistes, à la recherche d’une nouvelle poétique visuelle (compositions où s’agencent des coupures de journaux choisies au hasard, « poèmes-objets »…), s’engageront à leur manière dans la voie révolutionnaire ouverte par les calligrammes d’Apollinaire.
Anne Lemonnier
Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008