The Shape of Time

C’est le propre d’un musée que de croiser de manière vivante diverses échelles de temps : la provenance historique des objets qu’il conserve ; l’histoire de l’institution elle-même, responsable de la création et de la vie de ses collections dans un contexte culturel qui est lui-même en mouvement constant ; enfin, le temps subjectif de la perception, celui que construit l’expérience des visiteurs qui, comme l’écrit avec sagacité l’artiste François Morellet, se trouvent devant les œuvres comme face à « des coins de pique-nique, des auberges espagnoles où l’on consomme ce que l’on a soi-même apporté ».

« La forme du temps », cite le titre d’un texte publié au début des années 1960. Aux prémisses des réflexions sur le postmodernisme, l’histoire de l’art traditionnelle a été mise au défi d’une culture visuelle plus large que celle définie par des institutions cloisonnées et formatées par le marché naissant de l’art contemporain. En 1962, l’historien de l’art précolombien George Kubler publiait The Shape of Time: Remarks on the History of Things. Ce livre, qui influença de nombreux artistes aux pratiques post-minimales, tels Robert Smithson et Robert Morris, appelait à regarder les œuvres d’art contemporaines à l’aune de longues échelles de temps, rejetant la valeur individualiste du « génie artistique » et les principes mêmes du modernisme à l’américaine.

Il va de soi, aujourd’hui, que le discours linéaire et centré sur l’Europe du modernisme ne saurait plus constituer un modèle de référence privilégié. Il est en revanche possible et nécessaire d’en observer les termes avec distance. L’accrochage « The Shape of Time » situe une collection dans son histoire : celle du Musée national d’art moderne créé en France dans l’entre-deux guerres. La collection donne à voir dans son noyau principal la construction d’une culture européenne, nourrie des diasporas et des échanges culturels avec le monde. C’est cet aspect que propose d’aborder la première partie du parcours, axée sur la notion de contexte : le foyer parisien d’une modernité syncrétique, faite de rencontres et de regards croisés. Quant à la deuxième partie, elle s’ouvre sur les débats générés par le postmodernisme et la globalisation qui se reflètent de manière croissante dans l’évolution de la collection à partir de la création du Centre Pompidou en 1977 et des expositions de recherche entreprises sur ces sujets.