Exhibition / Museum
Family Portraits
16 Jun - 24 Sep 2012
The event is over
Les mots inventés et déformés, les interprétations, les défauts de prononciation qui finissent par entrer dans le vocabulaire de la famille, en constituent le langage pour en devenir des repères… C'est le programme qui vous attend cet été à la Galerie des enfants. Avec cette proposition, l'artiste Valérie Mréjen donne la parole aux enfants : chercher ces mots en familles, les définir, écrire leurs histoires. Les enfants constituent un lexique unique, un imagier singulier. Deux cabines d'enregistrement sonore et visuel attendent leurs témoignages. Les enfants nous ouvrent ainsi les pages de leur album familial.
Portraits de famille, exposition conçue par Valérie Mréjen, explore les mots inventés et déformés, les interprétations, les défauts de prononciation qui finissent par entrer dans le vocabulaire de la famille, en constituent le langage pour en devenir des repères… A partir de cette proposition, les enfants sont invités à déposer, de façon sonore et par écrit, leurs témoignages sur ces mots singuliers que les adultes imitent avec une tendresse amusée pour ensuite s’en emparer, en hommage au côté touchant et unique de ces « créations ». Au final, des portraits multiples de l’intimité des familles d’aujourd’hui.
Entretien avec Valérie Mréjen, plasticienne, écrivain
Pour « Portraits de famille » dans la Galerie des enfants, j’ai imaginé une variation sur le thème de l’apprentissage du langage, sur la façon dont chaque enfant peut entendre, comprendre, s’approprier ou déformer les mots et expressions.
L’idée m’en est venue en découvrant les listes que Walter Benjamin établissait lorsque son fils commençait à parler : sur plusieurs colonnes, soigneusement consignées, il dressait des suites de vocables prononcés de manière singulière par le petit garçon, et à côté, les « véritables » mots auxquels ces interprétations correspondaient. Souvent, certains mots d’enfants qui ont charmé ou fait rire les adultes au moment où ils ont été prononcés, restent dans les familles et finissent par être adoptés puis couramment utilisés comme des termes spéciaux que seul le petit cercle peut vraiment comprendre et apprécier. Ce sont souvent des souvenirs de moments de grâce que l’on veut continuer à faire exister, et l’on essaye de prolonger le plus longtemps possible l’effet comique et inattenduqu’ils ont provoqué à ce moment-là. Ce sont des fragments d’histoires familiales qui s’écrivent ainsi au fur et à mesure : de même que chaque année de nouveaux termes apparaissent dans le dictionnaire, on officialise en interne la prononciation fantaisiste de certains mots, et ces petits lexiques si singuliers finissent par constituer une forme d’identité.
C’est une sorte de glossaire, une récolte auprès d’enfants et de leurs proches, des perles étonnantes, poétiques, drôles… L’installation est constituée d’une vidéo tournée avec des enfants à propos du langage, du sens de certaines expressions selon leur interprétation, d’un mur de dessins et d’images reprenant cette idée de dictionnaire avec déformations (un pichimon / un champignon, sirop de rabbin / sirop d’érable, un pipillon, etc.), et d’un espace où les jeunes visiteurs et leurs familles sont invités à inscrire sur du papier leurs mots customisés, ou à s’enregistrer en vidéo dans des cabines. La visite commence par la diffusion du film. Chacun peut ainsi saisir d’emblée le sujet de l’exposition et se plonger dans ses propres souvenirs, dans ses réminiscences de mots d’enfants ou de ceux de ses enfants.
Ce sujet est lié à la transmission de la langue maternelle sous l’angle du rapport à la famille. Car ce sont le plus souvent les parents ou les grands-parents qui continuent à employer et à véhiculer, encore longtemps après qu’elles aient été prononcées, ces trouvailles spontanées et intuitives, ces pépites un peu cabossées où l’esprit de l’enfant a laissé son empreinte pour leur insuffler un attrait et un charme particuliers. Ainsi, comme je le fais souvent, j’ai commencé par mener une enquête en en parlant autour de moi : j’ai demandé aux gens que je croisais, si dans leur mémoire ils avaient gardé des exemples de ces altérations enfantines, et telle jeune femme m’a par exemple parlé de sa soeur qui disait J’ai un perroquet pour J’ai le hoquet, telle autre m’a dressé une liste précise d’expressions employées par ses enfants (la grise pour la voiture, choufiotte pour mèche de cheveux…), telle petite fille encore m’a rapporté avec délectation et une pointe de moquerie que sa petite soeur, de quelques années plus jeune et justement à l’âge d’apprendre à parler, disait coquazelle pour coccinelle, ou encore tatoche pour cornichon.
J’aime l’idée de compiler tout un ensemble en recherchant dans les histoires des personnes qui souhaiteront participer à ce projet, un lexique fantaisiste de mots décalés, pour certains bien reconnaissables et pour d’autres au contraire totalement mystérieux (anconie pour musique, arrêtez le carrelage…). Il y a aussi la façon dont les enfants entendent et comprennent certaines phrases : bonne année du versaire, changer d’avis comme deux chemises, casse la neutiène, marché aux puces (un marché où l’on achète des puces) etc. J’ai également repensé à une interview qu’avait menée Marguerite Duras dans une classe d’école primaire avec un groupe de jeunes enfants, et aussi à l’entretien avec le petit François, visible sur le site de l’Ina. Elle lui demande à quoi cela sert d’aller à l’école, d’apprendre à lire, à écrire… à quoi sert la télévision, et l’enfant explique la différence qu’il y a selon lui entre lire un livre (on lit soi-même) et regarder une émission. Entre les deux, il y a la lecture d’une histoire racontéepar quelqu’un, par exemple la mère. Ce n’est pas soi qui parle aussi, mais c’est notre mère qui parle, alors c’est peut-être encore intéressant. Sur un modèle assez similaire, je projette de faire une série de portraits des enfants dans un film court, en compagnie des parents qui les accompagnent, à propos de l’usage particulier de certains mots ou de la signification qu’ils leur attribuent.
L’espace de restitution, au milieu de la Galerie des enfants, est l’occasion pour les visiteurs, toutes langues confondues, d’inscrire sur des cartes vierges les éléments de leur fonds familial et d’enrichir ainsi l’ensemble des contributions qui auront déjà été rassemblées avant le vernissage. Ils peuvent les glisser dans une urne transparente régulièrement vidée et dépouillée. La retranscription de toutes ces participations se fait au fur et à mesure sous forme de diaporama diffusé sur écran. Sur un autre écran passent les enregistrements effectués dans les cabines, et les visiteurs peuvent se voir, après un travail de sélection et de montage des images, quelques jours après avoir participé. Ainsi, les enfants et leurs familles ont le choix entre le geste d’écrire, tranquillement installés à leur guise sur une estrade ronde et celui plus immédiat d’être filmés en direct pendant trente secondes. Les médiateurs jouent un rôle essentiel sur place pour expliquer le procédé et définir chaque fois les règles du jeu. Ceux qui parlent plusieurs langues peuvent plus facilement communiquer avec les visiteurs non francophones et les inviter à participer ; la vidéo est sous-titrée en trois langues. L’ensemble est bien visible depuis le Forum du Centre Pompidou, avec des modules de formes simples et géométriques et des couleurs vives et unies, du jaune, rouge, bleu et blanc. On peut voir de loin, sur le grand mur qui longe la galerie, une sélection de dessins et d’images, comme dans un dictionnaire pour les enfants. Dans cet étrange lexique, mot pour mot, « Visou » veut dire maison, corse / short, Josette / chaussette, et Hubert Leru / hurluberlu…
Au cours de ces recherches autour des mots et du langage, des histoires se génèrent, les souvenirs plus ou moins oubliés ou ignorés d’une partie des membres de la famille sont convoqués. Cela peut résonner d’une famille à une autre, créer des effets de miroir, de symétrie… Il y a un côté « marabout-bout de ficelle » à rechercher dans sa mémoire et c’est l’occasion d’apprendre des choses sur la culture ou le passé de grands-parents ou de parents immigrés, l’origine de telle expression, l’impact qu’a eu telle ou telle personne sur un enfant (une cigarlette pour cigarette, parce que la meilleure amie - sans doute fumeuse de la mère de cette petite fille s’appelait Arlette). Au-delà de l’espace de la Galerie des enfants, c’est l’occasion de faire vivre en les colportant toutes ces histoires dans lesquelles chacun peut se retrouver à sa manière, et d’échanger des raretés, comme on pouvait le faire avec les images d’albums à reconstituer.
When
11am - 7pm, every days except tuesdays