Exhibition / Museum
Chantal Akerman
Exposition-installations
28 Apr - 7 Jun 2004
The event is over
Parallèlement à la rétrospective intégrale des films de Chantal Akerman en Cinémas 1 et 2, le Centre Pompidou présente deux installations vidéo de l'artiste ainsi qu'une exposition de 16 photographies tirées du film D'Est.
Parallèlement à la rétrospective intégrale des films de Chantal Akerman en Cinémas 1 et 2, le Centre Pompidou présente deux installations vidéo de l'artiste, ainsi qu'une exposition de 16 photographies tirées du film D'Est.
From the other side
Installation vidéo, 3 salles, 1 vidéo projection, 19 moniteurs, 20 DVD en boucle
En 2002, Chantal Akerman réalisait De l'autre côté, un film sur la frontière qui sépare les États-Unis du Mexique. L'installation intitulée "From the other side" le prolonge.
Elle a été conçue pour la Documenta de Kassel (2002). Un fragment de l'installation intitulée "Une voix dans le désert" a été présenté à la galerie parisienne Marian Goodman (2003). Utilisant les images prises lors du tournage, elle propose au visiteur un parcours en trois étapes.
Dans la première salle
Un moniteur diffuse en boucle le dernier plan du film. La caméra est à bord d'une voiture qui roule, de nuit, sur une autoroute américaine. Des panneaux indiquent la direction de Los Angeles. La voix d'Akerman lit un texte qui parle de la disparition d'une Mexicaine qui travaillait aux États-Unis. L'autoroute et les mots prononcés sont comme le conducteur hallucinatoire de cette volatilisation.
Dans la salle du milieu
Six triptyques de moniteurs orientés dans la même direction sont placés sur des socles peints en noir échelonnés dans l'espace de manière à lui donner de la profondeur. Les images sont de nature hétérogène : travellings de jour et de nuit le long de la frontière, plans rapprochés, plans d'ensemble (notamment des enfants qui jouent au ballon dans un espace qui apparaît tel un no man's land), vues prises à partir d'hélicoptères de contrôle où apparaissent de minces cohortes de migrants. Ce dispositif, en démultipliant la frontière, élargit le regard. Il interroge inlassablement le spectateur sur l'insensé et la violence d'une barrière qui laisse tout passer (le vent, la poussière, les animaux...) sauf les hommes.
Enfin, dans la troisième salle
De couleur gris anthracite comme les précédentes, se trouve le dernier fragment de l'installation.
Sur un écran est projeté un autre écran. "Dans le désert de l'Arizona, à la frontière, entre deux montagnes, l'une nord-américaine, l'autre mexicaine, a été placé un écran de dix mètres de base. Sur cet écran ont été projetées les dernières minutes du film De l'autre côté. Ces images et ces sons ont été vus, entendus des deux côtés de la frontière [...]. Nous avons filmé cet écran [...] pendant des jours et des nuits. De toutes ces images, nous avons choisi une heure, un plan qui commence au bout de la nuit et se termine au commencement du jour."
Le paradoxe est abyssal: l'image s'inscrit dans le paysage désertique en même temps qu'avec la venue du jour elle s'efface. Une lente élévation se fait, accompagnée par la voix en anglais de Chantal Akerman (le texte est toujours celui de la disparition de la femme mexicaine) et le violoncelle de Sonia Wieder-Atherton. Cet effacement se peuple alors de volontés brisées. Celles d'hommes et de femmes, les vivants comme les morts, qui étaient en quête d'une vie meilleure. L'apparition de cette douleur verticale est éminemment politique.
François Bonenfant
Autobiography - Selfportrait in progress
Installation vidéo, 1 salle, 6 moniteurs, 6 DVD en boucle
Créé en 1998, et présenté quasi simultanément la même année dans trois lieux (New York, Londres, Paris), cet Autobiography-Selfportrait in progres, volontairement baptisé en langue anglaise, n'a rien de ce qu'on attend d'une déclaration d'intention. Ni d'une profession de foi explicite. Il s'agit d'une expérience visuelle, auditive et motrice, conçue par l'artiste Chantal Akerman à partir des films de cinéma de Chantal Akerman.
On voudrait aller trop vite, et parler de dédoublement de la personnalité, voire de schizophrénie. Il n'en est rien.
Tout s'organise harmonieusement dans l'espace autour de six moniteurs dont les rythmes jouent les uns avec les autres par effet de ricochets, échos, ou réminiscences. L'hypnose s'installe. Akerman nous parle de son rapport aux images. Ce qu'elle nous dit c'est l'irréductibilité de ses images à elle. Le discours autobiographique ne peut s'en passer, ne peut les contourner.
Il ne peut pas non plus les décrire. Car ses images contiennent déjà leur propre analyse intrinsèque. Analyse cachée ? Certes, l'installation Selfportrait joue sans cesse de l'apparition et de la disparition, exhibe et dissimule en même temps. Les six moniteurs, rehaussés par des socles, sont placés en pyramide : un moniteur (1), puis deux (2), puis trois (3), orientés tous dans la même direction.
Les chaises, cernées de deux haut-parleurs, sont placées devant les deux écrans du milieu, dos à dos avec la dernière rangée de trois écrans.
Ces sièges créent une ligne de tension, empêchant l'oeil et l'oreille d'embrasser la globalité du dispositif. Assis, on entend sans tout voir. Et debout, on voit tout sans rien entendre. C'est à un jeu de cache-cache qu'invite l'artiste. Le visiteur doit venir à l'image et au son, passer des frontières invisibles, se repositionner à chaque fois dans une nouvelle portion d'espace. Ces collages, il les recolle lui-même.
Chantal Akerman nous rappelle que le don d'ubiquité n'existe pas. L'Hotel Monterey (en 1) n'est pas la cuisine de Jeanne Dielman (en 2), ni la gare bondée de Moscou filmée dans D'Est (en 3). Et pourtant, une même femme semble parfois errer de l'un à l'autre de ces plans : elle est de corpulence moyenne, le regard un peu dans le vague, prête toujours à prendre le risque de traverser l'espace. Il fait chaud ou il fait froid. Elle est en chapka ou en robe d'été. Mais c'est peut-être la même.
Assis donc, on peut entendre Chantal Akerman lire Une famille à Bruxelles, récit qu'elle a écrit et publié en 1998. Dans ce texte fait de répétitions appuyées et volontaires, telles des scansions infinies de vers, c'est la Mère de l'artiste qui s'exprime à la première personne du singulier.
Chantal Akerman y apparaît comme sa "fille de Ménilmontant". Des annotations très simples y sont entrecoupées de pics émotionnels, surgissant soudain au détour d'un "et", ou d'"un jour".
De ces segments de vie, on se souvient de la mort du Père, et de la pudeur avec laquelle la Mère décrit le rapport qu'il avait avec cette "fille de Ménilmontant" pas comme les autres, sans mari et sans enfant. Une "fille" qui pourtant sait ce qu'elle veut et aime danser. "Il l'aimait comme elle était".
Chantal Akerman ne questionne pas la famille en tant que telle. L'impudeur ne l'intéresse que lorsqu'elle génère de l'opacité, la voie de l'intimité que lorsqu'elle s'incarne en voix blanche. La distanciation des sentiments se cogne alors (avec douceur, c'est le paradoxe) aux corps lointains de ses films, plongés dans des bleus et oranges, contrastés et sensuels. Le "Je" de Chantal Akerman est violemment dans ses images.
Matthieu Orléan
Exposition photos tirées du film D'est
14 photographies cibachrome
En 1993, Chantal Akerman tourne D'Est en 16 mm, avec une caméra, flottante et invisible, qui glisse en travelling sur la Russie. Cinq ans plus tard, elle extrait de ce long-métrage quatorze tirages cibachrome montés sur aluminium. Qu'a choisi de retenir l'artiste ? Des visages expressifs, presque expressionnistes, encadrés de foulards, chapeaux ou fourrures. L'installation met en exergue de multiples jeux de regards. Ces "personnages" de Moscou, citoyens d'un nouveau monde (l'empire soviétique vient de s'effondrer, la masse communiste de se désintégrer), se jettent des coups d'oeil à l'intérieur d'une même photo, et aussi d'une photo à l'autre dans le champ organisé de l'espace d'exposition. Les images sont certes arrêtées, mais jamais gelées. Elles se répondent. Leur dynamique est intacte, voire décuplée. Seule la dernière photographie (numéro 14) nous montre une foule arpenter le hall d'un bâtiment industriel, chapeauté d'une structure métallique. Ces silhouettes, agglomérées en grappes indistinctes, trahissent la peur d'une menace imminente. On pense alors à d'autres images plus brutales : celles de camps d'extermination ou de travaux forcés. Finalement, c'est comme si en retravaillant son matériau d'origine (le film), Chantal Akerman avait été au plus près d'une autre histoire, sous-jacente, inconsciente : celle de ses parents, d'origine polonaise, survivants de l'Holocauste. Se souvenir alors de ce que nous a appris le héros de Blow up (1966) de Michelangelo Antonioni : en immobilisant et scrutant une image, on y voit surgir autre chose.
Matthieu Orléan
When
11am - 9pm, every mondays, wednesdays, thursdays, fridays, sundays