Cinema
La Rosière de Pessac 1979
16 Nov 2008
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La Rosière de Pessac
France / 1968 / 16mm / noir et blanc / 65 min
Réalisation et montage : Jean Eustache
En avril et juin 1968, Jean Eustache ne bat pas le pavé parisien, il filme à Pessac, sa ville natale du Bordelais, son film le plus long jusqu'alors (1h05) : l'élection et le couronnement de la soixante-douzième rosière, une jeune fille récompensée pour ses mérites et sa vertu. En faisant acte de filmeur ethnographe, d'enregistreur au point de vue indécelable, Eustache va à contre-courant d'une époque qui demande à chacun : « D'où tu parles? ».
C'est aux frères Lumière qu'il fait référence, regrettant « qu'il n'existe pas le même film tourné en 1896, l'année où cette tradition, qui remonte au Moyenâge, a été ranimée et instituée et qui correspond à peu près à l'invention du cinéma. J'ai rêvé, poursuit-il dans un texte de 1979, à ce qu'auraient pu faire les frères Lumière pendant la guerre de 14-18, on aurait vu les poilus, le village et les gens tels qu'ils étaient à l'époque ; j'imaginais même le film en 1937, au moment du Front populaire, quand le maire de Pessac était communiste, je crois, ou en tout cas socialiste ; et puis il y aurait eu la Rosière sous l'Occupation, avec des Allemands regardant passer le défilé. » Là où d'autres auraient filmé ce rituel pour dénoncer, qui son instrumentalisation politique par le maire, qui son traditionalisme suranné, qui son hypocrisie sociale ou protocolaire (les irrégularités patentes de l'élection), Eustache insuffle au direct un primitivisme auquel la deuxième Rosière, celle de 1979, viendra donner un tour d'écrou supplémentaire.
Jean Eustache, « Pourquoi j'ai refait La Rosière », Cahiers du cinéma, n°306, décembre 1979.
La Rosière de Pessac 1979
France / 1979 / 16mm / couleur / 67 min
Réalisation : Jean Eustache
« En 1979, je me suis passé à moi-même une commande : refaire La Rosière, et je me suis dit : je la ferai forcément mieux, puisque je l'ai déjà faite, et ça sera beaucoup plus facile. En fait, le travail a été beaucoup plus difficile.
L'ombre de l'autre film était là, au tournage aussi. J'aurais pu décider de tourner de façon différente, en prenant un autre point de vue. Mais ç'aurait été une mauvaise idée, car précisément je n'ai pas de point de vue, ce point de vue c'est moi-même, je ne peux pas en avoir d'autre. »
Une autre répétition précède celle entre La Rosière de Pessac (1968) et La Rosière de Pessac (1979) : c'est le diptyque d'Une sale histoire (1977) : la même anecdote voyeuriste racontée tantôt dans un cadre fictionnel (par Michael Lonsdale devant des figurants), tantôt sur un mode documentaire (par Jean-Noël Picq devant ses amis) - l'un minant la crédibilité de l'autre et décuplant la puissance imageante d'un récit à vrai dire infigurable. Mais le duo des Rosière fait un tout autre usage de la reprise, car il ne raconte guère : sur la durée d'une journée, il se contente de montrer l'élection et le couronnement de la jeune fille la plus méritante de Pessac.
Mais en étant fidèle au temps réel et en soudant les deux films dans le temps d'une seule projection (qu'Eustache souhaitait chronologiquement inverse), le cinéaste-monteur se livre volens nolens à une critique irrévocable du rituel, exposé dans la stérilité de sa répétition, dans l'inactualité de ses buts (à toutes les étapes revient la question du chômage, à laquelle un tel rituel reste évidemment sourd). D'ailleurs les jurés de 1979 ont bien du mal à trouver la moindre candidate, et Christelle, l'élue d'autant moins experte en rosièreries qu'elle est normande, traverse les festivités avec une passivité digne de Jackie Kennedy dans Primary. A partir de ce concours désuet, sans quitter la rosière ni le maire qui la balade partout en sous-titrant le monde pour elle, Jean Eustache parvient à s'extraire du particularisme provincial pour documenter « la façon dont le pouvoir organise la vie des gens à leur insu ».
Jean Eustache, op. cit.
When
From 5pm