Debate / Meeting
Le nouvel âge de l'automatisation
Entretiens du nouveau monde industriel / Première journée
16 Dec 2013
The event is over
Organisation : Cap Digital, ENSCI-Les ateliers, IRI
Partenaires : Institut Mines-Télécom, EtaLab, France Télévisions
LE NOUVEL ÂGE DE L’AUTOMATISATION
Algorithmes, données, individuations
Dans Automation et humanisme , Georges Elgozy, voyant venir l’informatique comme science et technologie des automatismes, annonçait en 1968 un changement majeur dans le devenir de l’humanité. Vingt-cinq ans plus tard, l’avènement du web et de « l’écriture réticulaire » concrétisait cette intuition en déclenchant un processus de transformation planétaire dont on peine encore à qualifier et à mesurer les effets, mais dont il ne fait plus de doute qu’il conduit à une généralisation des automatismes dans toutes les dimensions de l’existence – des plus individuelles aux plus collectives, de la vie privée la plus intime aux processus de production de biens matériels et à la sphère publique constituant la res publica. C’est dans ce contexte très inédit que le ministère du redressement productif vient de lancer un plan robotique.
Si la question de l’automatisation précède et accompagne toute l’histoire de la société industrielle, elle se présente de nos jours sous un angle absolument neuf : avec la numérisation de toutes les relations (à soi, aux autres, aux choses, à l’espace, au temps), les automatismes sont désormais présents dans la plupart des activités humaines – que les humains en soient conscients ou non. C’est sur cette base encore massivement impensée et peu préparée que s’opère une mutation industrielle d’une immense ampleur où, comme toujours, le pire masque le meilleur et réciproquement : la dissémination et l’intégration des technologies numériques qui conduit à l’automatisation généralisée provoque au sens strict une métamorphose du monde industriel .
Au sein de cette métamorphose se présentent les termes opposés d’une alternative.
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L’automatisation généralisée a et aura des effets dans tous les domaines : production, enseignement, médecine, commerce, transports, recherche scientifique, édition et presse, relations sociales, vie quotidienne domestique, vie politique, relations intergénérationnelles, géopolitique, géoéconomie, diplomatie, politiques militaires, etc.
Quant à la robotisation de la production, elle pose de toute évidence l’immense problème du modèle économique de l’industrialisation à venir dans son ensemble : si les robots remplacent les employés, qui consommera ce que produiront les robots, et avec quelles ressources ?
Une telle question montre que les notions d’emploi et de consommation ne sont peut-être plus appropriées pour une entrée durable dans le monde qui émerge. De fait, elles ont été forgées à une époque où la solvabilité de la production reposait sur l’emploi de masses de producteurs dotés d’un pouvoir d’achat qui les constituaient du même coup en masses de consommateurs. Or ce compromis à la fois économique et politique autour du pouvoir d’achat était fondé sur une automatisation restreinte, cependant que l’ère de l’automatisation généralisée dans laquelle nous entrons renverse irréversiblement l’état de fait en quoi cette automatisation restreinte aura consisté jusqu’au début des années 1970.
L’automatisation permet de gagner du temps, c’est à dire aussi de l’argent. Mais le temps n’est pas seulement de l’argent : c’est aussi par exemple le temps de savoir – et d’apprendre, c’est à dire d’augmenter sa « puissance d’agir », si l’on parle avec Spinoza, ou sa « capacitation », si l’on parle avec Amartya Sen. Pour le dire autrement et de façon tranchée : il y a deux voies opposées pour envisager l’avenir de l’automatisation (et le réel est en général une composition entre de tels opposés) :
. l’une permet de gagner et de redistribuer de l’argent par une conversion monétaire immédiate du temps ainsi gagné ;
. l’autre permet de produire, de gagner et de redistribuer du temps qui n’est pas directement transformable en argent.
La seconde voie consiste à libérer du temps mécanisable et automatisable pour gagner du temps qui n’est ni mécanisable ni automatisable parce qu’il est incalculable, et constitue le temps de la singularité – raison pour laquelle il n’est précisément pas directement convertible en monnaie.
La première voie, qui transforme directement le temps en argent (selon le célèbre « sermon » de Benjamin Franklin), et qui appréhende le temps comme étant essentiellement réductible à un calcul, a produit une société basée sur une valeur d’usage elle-même immédiatement transformable en valeur d’échange. Or ce modèle a atteint sa limite au cours de la dernière décennie.
Là est le cœur de la crise de 2008, elle-même inscrite dans la métamorphose en cours : celle-ci a montré que la valeur d’usage, comme valeur qui s’use, conduit à l’usure globale, y compris comme organisation fondamentalement spéculative de l’économie, où l’insolvabilité devient systémique et généralisée – et Nietzsche avait anticipé ce devenir sous le nom de nihilisme, c’est à dire comme destruction de toutes les valeurs.
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C’est dans le contexte critique de cette crise sans précédent que l’on parle de nos jours d’une société reposant sur un développement nouveau et généralisé des savoirs. Un savoir produit une valeur qui ne se dévalue pas avec le temps : ce n’est pas une valeur d’usage, mais une valeur pratique. Cela signifie qu’un savoir n’est pas réductible à son utilité formalisée par un usage : si tel était le cas, il s’userait avec le temps.
Les pratiques nouvelles de contribution qui ont émergé avec l’écriture réticulaire depuis une vingtaine d’années ont largement mis en relief cette valeur non marchande que constitue le savoir. Qu’une valeur ne soit pas réductible à sa fonction marchande ne signifie pas qu’elle est inutile, ni donc qu’elle ne comporte aucune vertu économique, ni qu’elle n’a pas aussi une valeur marchande, bien au contraire : comme l’a montré Paul Valéry, la « valeur esprit », qui est la condition de la richesse sous toutes ses formes, est aussi ce que produit la richesse sous toutes ses formes. Mais cette production ne peut pas et ne doit pas être convertie directement en valeur d’échange – car si elle l’est, comme le montre là encore Valéry, la valeur esprit, qui est la valeur pratique en tant qu’elle n’est pas réductible à une simple valeur d’usage, baisse inéluctablement.
Cette question de la valeur peut et doit être analysée en termes d’entropie et de néguentropie.
En tant que gain de temps possible, et selon la manière donc ce gain est valorisé (comme valeur d’usage ou comme valeur pratique), l’automatisation, en tant qu’elle permet des gains de temps qui peuvent être soit dilués dans une constante augmentation de la vitesse et de la calculabilité, soit investis dans le temps des savoirs qui dépassent cette usure du temps, permet soit d’augmenter l’entropie, c’est à dire la dévalorisation et la destruction du système produisant l’automatisation, soit au contraire de la limiter en augmentant la néguentropie, c’est à dire la diversité des capacitations et des formes de savoirs fondées sur ce que la philosophie nomme l’autonomie.
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Faute de répondre à ce genre de questions, la robotisation de la production, qui est inéluctable, conduira à des contradictions économiques telles qu’elles se traduiront par une guerre économique encore plus vive qu’aujourd’hui – qui pourrait alors conduire au chaos.
Pour tenter d’en appréhender les contours tout en les enracinant profondément dans le contexte technologique et industriel contemporain, nous traiterons au cours de ces deux journées d’entretiens des thèmes suivants :
LUNDI 16 DECEMBRE - 9h30-13h
Session 1 : L’automatisation contre l’autonomisation ?
L’automatisme est généralement appréhendé comme ce qui s’oppose à l’autonomie : un comportement automatique est irréfléchi. Pourtant, l’acquisition d’automatismes, par exemple comme apprentissage de la lecture, ou comme pratique instrumentale virtuose, est la condition de ces formes caractéristiques de l’autonomie que sont la citoyenneté ou l’art du musicien.
L’autonomie serait donc moins ce qui s’oppose à l’automatisme que ce qui compose avec elle. Jusqu’où et dans quelles conditions une telle composition est-elle encore possible au stade contemporain de l’automatisation ?
Intervenants : Bernard Stiegler (IRI), David Bates (Berkeley Un.), Patrick Crogan (Bristol Un.)
Session 2 : L’automatisation dans l’histoire technique, industrielle et économique et à l’époque contemporaine.
La « grande industrie » qui apparaît au XIXè siècle est fondée sur l’introduction des automatismes au service de la transformation de la matière. En optimisant l’automatisation, le taylorisme devient la base du fordisme, qui constitue lui-même la matrice de la destruction créatrice décrite par Joseph Schumpeter. Partiellement redistribués en pouvoir d’achat, les gains de productivité ainsi réalisés permettent la stabilisation du consumer capitalism.
L’automatisation généralisée que provoque la numérisation ne remet-elle pas fondamentalement en cause ce modèle fondé sur l’emploi comme condition d’un pouvoir d’achat ? Comment concevoir la solvabilité d’un système basé sur l’automatisation généralisée et le déclin systémique de l’emploi ?
Intervenants : Marc Giget (IESCI), Michel Volle (Polytechnique)
LUNDI 16 DECEMBRE - 14h30-18h30
Session 3 : Temps du travail, temps du savoir et valeur du temps à l’époque de l’écriture réticulaire.
Les gains de productivité résultant de l’automatisation sont des gains de temps : peuvent-ils être redistribués sous d’autres formes que celles permises par le salariat comme pouvoir d’achat – c’est à dire sans passer par la monétisation intégrale du temps gagné en argent ? De nouvelles conceptions du temps, de la valeur et du travail sont-elles possibles au moment où la robotisation paraît conduire au pur et simple remplacement de la main d’œuvre par des systèmes automatiques intégrés cependant que, par ailleurs, la numérisation fait apparaître de nouvelles formes de production de valeur et de savoir ?
Intervenants : Maurizio Lazzarato (CNRS-Paris I), Jean-Yves Boulin (IRISSO-Paris X)
Session 4 : Imprimantes 3D et production décentralisée – vers “l’usine à domicile” ?
Pendant que le human computing semble installer un nouveau type de prolétarisation hors salariat, la technologie numérique donne corps à des réseaux de savoirs fondés sur des relations entre pairs qui paraissent constituer autant de nouveaux processus de capacitation, d’individuation et d’autonomisation – y compris dans le domaine de la production décentralisée des biens matériels par l’intermédiaire des imprimantes 3D. Les nouvelles formes de savoirs qui émergent ainsi sont elles des précurseurs d’un modèle industriel fondé sur la déprolétarisation, préfigurent-elles au contraire une forme libertarienne d’auto-aliénation, ou bien ces deux tendances sont-elles l’enjeu de choix de sociétés possibles polarisées par elles ?
Intervenants : Chris Anderson (vidéo, sous réserve), Johan Söderberg (Göteborg Un.), intervenant Ensci (sous réserve).
CARREFOUR DES POSSIBLES DE LA FING -18h30-21h
Insccription contact@iri.centrepompidou.fr
Programme en Pièce jointe
When
9:30am - 6:30pm