Cinema
Beat Streuli
En conversation avec Raymond Bellour
13 Nov 2019
The event is over
Beat Streuli est né en 1957, il vit et travaille entre Bruxelles, Düsseldorf et Zurich. Depuis 1989, derrière son téléobjectif fixe (photographique ou vidéo), il capte invariablement la même scène : les visages et les corps de passants anonymes qui traversent les rues de mégalopoles contemporaines, imperméables à sa présence. N’existe que ce qui se déroule devant l’appareil : une action parfois entière, parfois fragmentée. Sans intervention d’aucune sorte, ses œuvres mettent l’accent sur l’impartialité, la neutralité de l’œil mécanique. Streuli refuse pourtant catégoriquement de situer son œuvre du côté documentaire : il n’y a pas de fiction plus suggestive que celle qui se construit à partir de la réalité.
Projections et discussion entre Beat Streuli et Raymond Bellour, écrivain, critique et théoricien.
When
From 7pm
Where
Beat Streuli
« Depuis plus de vingt ans, Beat Streuli scrute l'humanité. Avec patience, modestie, une qualité d'obsession qui semble n'avoir pas de fin. Une patience qui rappelle celle des grands photographes, de rue comme de reportage, par sa puissance d'accumulation d'images. Et une modestie tenant au fait qu'aucune de ces nombreuses images ne tend jamais, en dépit des grands formats adoptés, à s'individualiser, à devenir vraiment une photographie. Elle est destinée au contraire à entrer d'emblée dans des suites, des séries, des installations, dont l'agencement demeure en son principe plus ou moins variable, tenant chaque fois au contexte de la prise de vues comme au lieu d'exposition (galerie, musée, espace public), comme à la règle mystérieuse d'une inspiration associative. Comme si, à tel moment, parmi tous ces visages et ces corps du monde constamment captés, aussi anonymes que singuliers, le souvenir improbable de telle ou telle image s'imposait pour se combiner avec telle ou telle autre, par une attraction de montage qui n'impose pas tant un sens que le charme d'une dérive et, selon l'attrait d'une composition, une hypothèse chaque fois proposée au regard.
Mais le travail de Streuli ne se limite pas aux effets déjà si variés de la photographie sérielle telle qu'il la pratique. Les mouvements très divers qui peuvent en naître se doublent de deux mouvements plus nets liés à la projection. Le premier est le « diaporama », très tôt pratiqué par Streuli. Mouvement qui doit beaucoup aux détours du montage comme à la pression des fondus-enchaînés emportant les images dans le temps. Le second mouvement tient à la vidéo, que Streuli a pratiquée de façon régulière depuis le milieu des années 1990. Il y trouve une position qui contraste avec sa technique de photographe s'immergeant dans les foules, accumulant les prises de coup d'œil en coup d'œil, travaillant comme un sismographe attaché à saisir les moindres inflexions de sa matière. La vidéo suppose au contraire un point de vue fixe et continu de la caméra laissant cette matière de la vie venir à elle, un cadre choisi dans lequel elle s'inscrit, varie, se développe avec la douceur intangible d'un effet soutenu de ralenti : il permet tout simplement de mieux percevoir cette vie, de l'incorporer dans la variation ténue de ses métamorphoses, sa disparition-réapparition constante.
Telle est donc, de la photo à son animation multiple jusqu'à la vidéo, la variation démocratique à laquelle Beat Streuli soumet les images de tant d'habitants du monde. »
Source :
Raymond Bellour