Le Mouvement des images
au Musée national d'art moderne
18 Dec 2010 - 24 Apr 2011
The event is over
La culture numérique, qui a envahi notre expérience des images depuis une décennie, a profondément modifié la perception que nous avions du film en le déplaçant des cinémas vers les espaces d'exposition et en lui donnant une place centrale dans le système des arts contemporains. Désormais, l'expérience cinématographique ne peut plus être pensée comme une extension de la photographie à la durée et au mouvement, mais bien comme un faisceau de propriétés dématérialisées et libérées des contraintes techniques du medium que l'exposition peut isoler et activer au sein des différents arts réputés statiques : la confrontation d'images animées et fixes, la combinaison de lumière et d'obscurité, de son et de silence, devient alors, en tant que telle, une expérience filmique.
Bild für Bild
Introduction générale
La culture numérique, qui a envahi notre expérience des images depuis une
décennie, a profondément modifié la perception que nous avions du film en le
déplaçant des cinémas vers les espaces d’exposition et en lui donnant une place
centrale dans le système des arts contemporains. Désormais, l’expérience
cinématographique ne peut plus être pensée comme une extension de la
photographie à la durée et au mouvement, mais bien comme un faisceau de
propriétés dématérialisées et libérées des contraintes techniques du medium que
l’exposition peut isoler et activer au sein des différents arts réputés
statiques : la confrontation d’images animées et fixes, la combinaison de
lumière et d’obscurité, de son et de silence, devient alors, en tant que telle,
une expérience filmique.
Origine du film
Au commencement, avant même l’apparition des images, il y a le dispositif de
projection, constitué d’un faisceau de lumière blanche projeté sur un écran.
Cette construction géométrique, impalpable et éphémère qui traverse l’espace
pour se résoudre dans la bidimensionalité du plan est aussi une hypothèse
cosmologique.
I. le faisceau
1973 : Anthony McCall produit son premier « film de lumière solide » (Solid
Light Film) sobrement intitulé Line describing a cone, constitué d’une simple
ligne circulaire tracée au compas sur de la pellicule de film 16 mm, qui met
une vingtaine de minutes à se former. Le film est projeté dans un espace ouvert
(sans sièges ni cabines) et dans la fumée, de sorte que l’on voit
progressivement se former le cône du faisceau lumineux qui prend dans
l’atmosphère brumeuse de la salle une consistance matérielle : L’événement
filmique n’est plus l’image projetée, mais la projection elle-même.
1974 : Gordon Matta-Clark investit un immeuble jouxtant le site du futur Centre
Pompidou à Paris. En hommage à l’œuvre de McCall, il pratique sur plusieurs
étages une cavité circulaire ouvrant sur le vide. La pièce sera photographiée
et filmée avant que l’immeuble ne soit détruit pour laisser place, par un
retournement ironique qui ne devait pas déplaire à l’artiste, à un musée d’art
moderne et contemporain.
1996 : Pierre Huyghe projette sur la façade de l’immeuble du quartier de
l’horloge construit au lieu où s’élevait le bâtiment creusé par Matta-Clark,
une photographie de la performance de l’artiste : dans la performance de Pierre
Huyghe, dont il reste une trace photographique, l’œuvre de Matta-Clark se
dématérialise et se transforme en faisceau lumineux, revenant ainsi au modèle
originel que constituait le Solid Light Film de McCall.
II. l’écran
Hiroshi Sugimoto, Drive in
Sur les écrans des Drive in photographiés par Hiroshi Sugimoto à Culver City et
à Orange, plus rien ne vient altérer la blancheur éblouissante des écrans : non
pas que rien n’y apparaisse, mais au contraire parce que les temps de pose
démesurés (qui correspondent à la durée de projection d’un film de
long-métrage) renvoient tous les points de la surface saturée de lumière à une
sorte de nullité originelle.
Montage
La technique du montage n’est pas réservée aux arts « temporels », film et
vidéo : elle fait retour dans la photographie, la sculpture, ou la peinture. La
métaphore industrielle, engrenages et chaînes d’assemblage devient alors un
procédé usuel pour décrire les propriétés dynamiques et le mouvement des
surfaces.
Machine
Avec la culture de la numérisation, le dispositif mécanique de la projection
disparait de l’expérience cinématographique. Le projecteur revient alors dans
l’espoace d’exposition sous forme d’installation, transformé en sculpture.
Cadence
Le dispositif cinématographique repose sur la discontinuité du ruban filmique,
divisé en séries de photogrammes, dont la projection intermittente, à une
cadence déterminée (usuellement 24 images par seconde), produit une illusion de
continuité. L’invention de dispositifs syncopés permet de produire des effets
de défilement discontinu qui en appellent à l’expérience cinématographique
indépendamment de l’appareillage technique du cinéma. La reprise sérielle du
motif donne naissance à un nouveau type d’organisation de la surface qui se
substitue à la composition classique des formes.
Peter Kubelka, Arnulf Rainer
Arnulf Rainer (le film tient son nom d’une commande, au demeurant détournée, de
l’artiste autrichien), l’une des propositions les plus radicales du cinéma dit
« structurel », est uniquement composé d’amorce transparente et noire et de son
saturé ou vide. Le film peut être aussi bien projeté qu’exposé, avec sa
partition, la pellicule étant directement clouée dans la cimaise, à travers les
perforations. De cette combinatoire complexe de silences et de bruits et
d’éblouissements et d’obscurité qui se perçoit dans la projection et se
déchiffre dans l’exposition, Kubelka a pu donner une interprétation
cosmologique, la comparant aux rythmes alternés du jour et de la nuit.
Défilement
La division régulière des supports et l’adoption de formats longitudinaux
inscrit les formes dans la durée et les ouvre à la dimension du temps. L’image
n’est plus pensée dans une dimension statique, à partir des catégories de
l’unité et de l’immobilité, mais dans une dimension dynamique, à partir du
mouvement et de la démultiplication.
Traces
Le film, à travers le processus de la photoimpression, garde l’empreinte de ce
qui a été : il forme un complexe de traces qui n’est plus, comme en
photographie, confiné à l’instantanéité, mais s’ouvre à la succession et à la
durée.
Olafur Eliasson, Pedestrian Vibes Study
Pedestrian Vibes Study est une série de photographies réalisées avec des temps
de pose longues d’un figurant sur le corps duquel ont été fixées des points
luminescents : Eliasson retrouve ainsi, littéralement, les expérimentations
d’Etienne-Jules Marey sur la reproduction des mouvements des mobiles circulant
dans l’espace comme des fantômes qui laisseraient simplement derrière eux,
impressionnée sur la plaque photographique, la trace de leur passage
luminescent.
Slide Show
Nan Goldin, Heartbeat
Au commencement des années 1980, Nan Goldin donne sa forme artistique au Slide
Show, un diaporama sonore constituant une sorte de film ralenti dans lequel les
images s’enchaînent en fondu à quelques secondes d’intervalle, détournant de
leur finalité cinématographique pour en faire un usage photographique, les
propriétés de la projection et du défilement. Comme un film narratif, les
images se suivent pour constituer un récit, ou plutôt un faisceau d’histoires
faites de rencontres entre des corps qui se croisent, s’aiment et meurent.
Cependant, à la différence de ce qui se produit dans le film, chaque image
s’enchaîne à celle qui la suit immédiatement ou la précède de façon discontinue
de sorte que la narration naît d’une succession d’ellipses et non de l’illusion
d’une continuité.
Traveling (still to write)
Cadre
Les figures, entrant en relation avec l’élément formel du cadre, tra
nsformant celui-ci en élément matériel de la composition. Le bord de l’image
est assimilé à une limite physique à laquelle la figure est ramenée et dont
elle s’échappe inlassablement en se propageant de cadre en cadre, suggérant le
principe d’un montage généralisé.
Övyind Falhstrom, 7 Roles, Performing Krazy Kat. 7 roles, Une semaine sur
l'océan
Le grand dessin de Fahlström est composé de sept cases reproduit sous forme
photographique. Les sept dessins adjacents reprennent sous une forme épurée et
transformée les éléments de la bande dessinée en les déroulant. Mêlant signes
et figures, Fahlström retrouve l'économie des bandes dessinées de George
Herriman dans lesquelles l'instabilité des images – paysages mouvants qui se
modifient d'heure en heure et de vignette en vignette, cadres imbriqués et
fragmentés par le jeu des filets – produit un équivalent tabulaire du déroulé
filmique.
Steve Mc Queen, Deadpan
Dans Deadpan, Steve McQueen rejoue la célèbre cascade de Buster Keaton dans
Steamboat Bill Jr (1928). Le mur d'une maison bascule sur l'artiste impassible,
dont le corps vient s'inscrire très précisément dans l'ouverture d'une fenêtre
découpée dans la façade, ce basculement reproduisant analogiquement la
succession des recadrages dont le film est constitué . La façade semble
simultanément tomber de l’écran et remonter du sol : le personnage est
immobile, c'est le décor qui se déplace.
Non site
« Ce qui est intéressant avec le site, c’est qu’à la différence du non-site, il
vous entraîne vers les bords. Autrement dit, on ne peut se raccrocher à rien
comme dans le sable, il n’y a pas de point particulier sur lequel se
concentrer. On pourrait même dire que le site est caché ou s’est perdu. C’est
un plan qui vous conduit quelque part, mais quand vous arrivez là, vous ne
savez pas vraiment où vous êtes. En un sens, le non-site est le centre du
système et le site lui-même est la bordure du champ. »
Robert Smithson
Fabrique
Animisme
En associant le mouvement aux images, le film transforme les figures en corps
et les corps en figure : le thème de l’animation bascule dans une hypothèse
animiste.
Guillaume Leblond, La grande chrysocale
Forme indéfinie, vaguement anthropomorphe, la Grande chrysocale est réalisée
dans un alliage d'étain, de zinc et de cuivre qui imite l'or. Réalisée
manuellement dans un matériau industriel, la sculpture s'apparente à une
enveloppe organique en transformation, une chrysalide tressée et remplie
d’études et de maquettes réalisées par l'artiste pour la conception d'une
exposition.
Décor
Au cours des années 50 et 60, le cinéma de genre fait retour dans le champ de
l’art contemporain et envahit l’imaginaire de l’installation. Dans la
conception de l’œuvre comme décor, c’est l’espace pro-filmique du plateau qui
se redéploie dans l’espace de l’exposition comme il apparaît dans la profondeur
qui s ’ouvre derrière la vitre transparente de l’écran.
Découpe
Sergei Eisenstein comparait l’opération du cadrage et du montage au
démembrement rituel de Dionysos, mis en pièce par les Titans et ressuscitant
transfiguré : le thème du démembrement apparaît ainsi comme la forme archaïque
du travail de la coupe – le premier geste du montage qui précède la
constitution du récit.
Emilie Pitoiset, La danse de Saint-Guy
Pour réaliser La Danse de saint Guy, Emilie Pitoiset, sculpteur et artiste
vidéaste, dont le travail est hanté par les thèmes de la violence, de la mort
et de l’animalité, a prélevé un très court plan dans le Sang des bêtes de
Georges Franju, un documentaire réalisé à la fin des années 40 dans les
abattoirs de Paris : sur une longue table cadrée longitudinalement, une rangée
de moutons sont renversés et égorgés. Initialement présenté sur support
argentique dans un projecteur 8mm scellé, le film est désormais numérisé :
fractionné en minuscules boucles qui se renversent et se répètent, il donne à
voir, dans le tremblement syncopé de la découpe, l’envers négatif du travail du
montage.
Raphael Montañez-Ortiz, Cowboy Indians
Cowboy Indians est une commémoration du génocide amérindien. Il a été conçu
par l’artiste métisse comme un retournement contre elle-même de la violence
véhiculée par le western. Une copie de Winchester 73, réalisé en 1950 par
Anthony Mann, a été littéralement sacrifiée par l'artiste. Lors d'une
cérémonie inspirée par les rituels indiens, celui-ci l'a découpé au tomahawk et
mélangé dans un sac de médecine, avant de le recoller selon un ordre aléatoire.
Noir
Le film ne fait pas retour sur la scène de l’art contemporain seulement à
travers ses propriétés formelles, mais aussi à travers son imagerie : c’est
ainsi que la représentation des armes à feu et du shooting, empruntées au
western et au film noir devient une métaphore de la prise de vue qui
conditionne les « lens based media ».
Robert Longo, Men in the Cities
Pour la première série des Men in the Cities, Robert Longo s’est inspiré d’une
séquence d’un film de Rainer Werner Fassbinder, Der Amerikanische Soldat
(1971), montrant le meurtre de deux gangsters : « In its image is embedded a
high impact, kind of bang ; at the same time, it has this incredibly fluid
grace, the speed of grace. » Robert Longo, « Interview with Richard Price », in
Men in the cities, 1979-1982, New York, Harry N. Abrams, 1986, p. 88. Pour
réaliser cette série de dessins, Longo dirigeait ses modèles comme un
réalisateur ses acteurs : il les emmenait sur des toits d’immeubles, leur
envoyait des balles de tennis et les photographiait en perte d’équilibre. Puis,
à partir des photos projetées en grand format, il élaborait ses figures par
prélèvements et déplacements, c’est-à-dire par un travail de découpe et de
montage. « I was customizing people. I was making a picture, not a figure
drawing. » Ibid. p. 92.
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