Festival / Evening
Magiciens de la terre, retour sur une exposition légendaire
27 Mar - 8 Sep 2014
The event is over
Anniversaire d'une exposition pionnière à l'orée de la mondialisation de l'art.
Au Centre Pompidou et à la Grande halle de la Villette, du 18 mai au 14 août 1989, « Magiciens de la terre » surprit tout à la fois les publics et les milieux de la critique, des musées et du marché. Dans un monde de l'art contemporain alors exclusivement limité au périmètre des frontières de l'Europe et de l'Amérique du Nord, Jean-Hubert Martin, son commissaire, avait invité des artistes de tous les continents, repérés un à un lors de longues missions de terrain accomplies durant des années à la recherche de pratiques enracinées dans des cultures ancestrales, résistantes au post-colonialisme, en lutte contre les totalitarismes et, surtout, curieuses de l'ouverture planétaire émergente. Ils y rencontrèrent d'autres curieux : quelques artistes occidentaux, pourtant parfaitement intégrés dans les réseaux dominants, mais habités par la nécessité du dialogue interculturel. Ces derniers produisirent des oeuvres qui allaient résonner avec l'énergie singulière et le choc inédit que déclencheraient celles de ces « nouveaux artistes » jusqu'alors « invisibles ».
Initiative pionnière, « Magiciens de la terre » fut bientôt perçue comme inaugurale. Aux prémices d'une mondialisation qui ne disait alors pas encore son nom, « Magiciens de la terre » déclencha des polémiques qui durent et qui prospèrent, suscita des vocations et des déceptions, produisit dautres événements fondateurs et des imitations, influa sur nombre d'expositions à venir : ce fut donc l'un de ces « moments-seuils » qui marqua le changement dans lhistoire.
À l'occasion des 25 ans de « Magiciens de la terre », le Centre Pompidou organise une série d'événements pour revisiter cette exposition majeure et pour réfléchir à la nouvelle géographie du monde de l'art moderne et contemporain :
- Colloque international les 27 mars à 14h30 et 28 mars à 19h
- Université d’été du 1er au 10 juillet
- Exposition-documentaire du 2 juillet au 8 septembre
- Parution d’un nouvel ouvrage de référence au mois de juin
Questions à Jean-Hubert Martin, Historien de l'art, commissaire d'exposition et commissaire général de « Magiciens de la terre », 1989 et Annie Cohen-Solal, Professeur des Universités et commissaire générale de « Magiciens de la terre 2014 »
Quel portrait feriez-vous de cette exposition, vingt-cinq ans plus tard ?
Jean-Hubert Martin - Le seul portrait que je peux imaginer est une image qui doit remplacer ce texte. Trop dexégèse, pas assez de visuel !
Pourquoi cette exposition a-t-elle marqué les esprits ?
J-HM - Parce qu'elle brisait un double tabou : celui selon lequel il n'existait de l'art contemporain qu'en Occident et celui qui interdisait de montrer des oeuvres de cultures différentes côte à côte. Elle postulait une révision complète dune histoire de lart écrite dans le contexte colonial.
Comment réactiver ses valeurs ?
J-HM - Il faut s'atteler aujourd'hui à l'élaboration d'une géographie historique de l'art qui valorise les arts indigènes et s'ouvre à toutes les expressions artistiques y compris religieuses en tordant le cou à l'hégélianisme ethnocentrique qui fonde l'essentiel des pratiques artistiques avalisées en tant que telles.
Pourquoi est-il important de réinterroger cette exposition aujourdhui ?
Annie Cohen-Solal - Parce que « Magiciens de la terre » était une exposition pionnière ! Elle a provoqué de nombreuses polémiques, créé un mythe dans le monde entier, alors que les étapes de sa genèse restaient inaccessibles et son catalogue était devenu introuvable. Laccès aux belles archives du Centre Pompidou et aux ressources de la Bibliothèque Kandinsky engagée dans des programmes de recherches universitaires (« Mondialisation » et « Histoire des expositions ») nous a permis de restituer la dynamique de cet événement et d'éclairer le contexte de sa conception; comme les détails fascinants dans les voyages des commissaires à la recherche des artistes à travers tous les continents.
Quels éléments cet anniversaire permet-il de révéler ?
AC-S - Vingt-cinq après, nous avons interrogé les artistes présents en 1989 au sujet de l'influence de « Magiciens de la terre » sur leur propre trajectoire. Beaucoup d'entre eux gardent un souvenir mémorable de cette manifestation interculturelle qui, pour certains, fut même révolutionnaire et suscita des prolongements féconds. Ainsi la rencontre entre Richard Long et Jivya Soma Mashe, qui s'est poursuivie par des collaborations en Europe et en Inde rurale !
Quelle relecture peut-on faire aujourd'hui de « Magiciens de la terre », à lheure de la globalisation du monde de l'art ?
AC-S - « Magiciens de la terre », 1989, qui était alors à contre-courant car ouvert à des artistes marginalisés géographiquement et culturellement, apparaît aujourd'hui comme l'un des moments fondateurs du processus de la globalisation de lart contemporain. Ces artistes occupent désormais une place de choix dans les collections du Centre Pompidou, comme en témoigne la nouvelle présentation des collections, une exposition-manifeste qui révise les canons de l'art au 20ème siècle.
« Chaque jour j'apprenais quelque chose. Chaque matin j'avais hâte d'aller travailler à cette exposition. Tant d'histoires, tant d'expériences merveilleuses. Cette exposition [...
] a changé le monde de l'art tout entier. »
Braco Dimitrijevic
« Participer à « Magiciens de la terre » a été le tournant le plus important de ma carrière artistique. Venant de Chine, je suis arrivé en France avec seulement un « projet » pour le mettre en uvre et le réaliser sur place pour lexposition. Depuis les années 1990, ceci a constitué ma méthode de travail [
...] Elle m'a également permis de lutter contre la scène internationale de l'art contemporain tout en étant accepté par elle, et de me dépasser tout en restant moi-même. »
Huang Yong Ping *
* Traduit par Yu Hsiao-Hwei