L'artiste et son œuvre
Yves Klein
Biographie
Yves Klein naît le 28 avril 1928 à Nice, de parents tous deux artistes.
Son père, Fred Klein, est un peintre figuratif qui expose dès le début des années trente, et sa mère, Marie Raymond, peintre abstrait géométrique, est largement reconnue à partir de 1945.
Cet environnement le familiarise très tôt avec le milieu artistique, mais il s’oriente tout d’abord vers une autre carrière.
Tout d’abord vers le judo auquel il s’initie en 1947, alors que cette pratique n’est pas encore réduite à un sport mais se veut une méthode d’éducation intellectuelle et morale visant à la maîtrise de soi. À l’occasion d’un de ses premiers cours, il rencontre Armand Fernandez, le futur artiste Arman. En 1952, il part se perfectionner au Japon où il devient ceinture noire, quatrième dan, grade qu’aucun Français n’a atteint à cette époque. De retour en France, la Fédération française de Judo lui refusant d’enseigner, il ouvre, en 1955, sa propre école qu’il décore de monochromes, mais qu’il est contraint, pour des raisons financières, de fermer l’année suivante.
Parallèlement au judo, Yves Klein découvre en 1947 la mystique des Rose-Croix. Les monochromes qu’il peint deviennent, pour lui, des objets de culte. Il lit régulièrement la Cosmogonie, texte fondateur de l’ordre de Max Heindel. Cet ouvrage enseigne la connaissance par l’imagination, considérée comme la plus puissante des facultés humaines. Aussi, lorsqu’en 1958, Klein lit L’Air et les songes du philosophe Gaston Bachelard, il y décèle un écho à sa propre pensée.
C’est à partir de 1955 que Klein présente ses travaux dans un cadre artistique. Il expose au Club des solitaires de Paris des monochromes de différentes couleurs, sous le titre "Yves, peintures". Il y rencontre le critique d’art Pierre Restany avec lequel il collaborera toute sa vie. Sa carrière de peintre est lancée.
En 1957, il entame son « époque bleue », choix de couleur confirmé par son voyage à Assise où il découvre les ciels de Giotto. Il reconnaît en lui le véritable précurseur de la monochromie bleue qu’il pratique : uniforme et spirituelle. Klein met radicalement en œuvre cette monochromie bleue qu’il perçoit chez Giotto, notamment grâce à la texture si particulière de sa peinture qui fait l’objet d’une formule originale, validée en 1960 par l’Institut national de la Propriété industrielle. Cette peinture est ce qu’il appelle l’IKB (International Klein Blue).
Dès lors artiste de renommée mondiale, il participe à la fondation du Nouveau Réalisme avec notamment Restany et Arman, tout en poursuivant ses recherches personnelles.
À partir de 1960, Klein utilise l’or, le feu, et met en place des œuvres rassemblant une trilogie de couleurs bleu, or et rose. En 1961, il réalise un ex-voto en forme de triptyque qu’il dédie à Sainte Rita ; il organise la même année une exposition en Allemagne, à Krefeld, où il répartit les trois couleurs dans l’espace ; il les utilise pour les faire-part de son mariage avec Rotraut Uecker en janvier 1962 qu’il métamorphose ainsi en œuvre d’art.
Il meurt d’une crise cardiaque en juin 1962.
Introduction à l'œuvre
L’œuvre d’Yves Klein révèle une conception nouvelle de la fonction de l’artiste. Celui-ci n’est jamais à proprement parler l’auteur d’une œuvre puisque, selon Klein, la beauté existe déjà, à l’état invisible. Sa tâche consiste à la saisir partout où elle est, dans l’air, dans la matière ou à la surface du corps de ses modèles, pour la faire voir aux autres hommes.
En conséquence, l’œuvre d’art n’est que la trace de la communication de l’artiste avec le monde : « Mes tableaux ne sont que les cendres de mon art »1.
La diversité des techniques qu’Yves Klein met en œuvre tout au long de son parcours obéit à une même intuition.
Des premiers monochromes du début des années cinquante, qui manifestent la sensibilité à l’état pur, aux « peintures de feu » de la dernière année de sa vie où l’un des quatre éléments exprime sa force créatrice sous la direction de l’artiste, c’est la réalité invisible qui devient visible.
La réduction des couleurs au bleu fait jouer à la matière picturale le rôle de l’air, du vide, duquel naissent la force de l’esprit et l’imagination pour Klein. De même que la « technique des pinceaux vivants » ou « anthropométrie » revient à laisser au corps humain le soin de faire le tableau, mettant ainsi l’artiste en retrait.
On comprend que cette pratique artistique ne trouve pleinement son sens qu’en référence à une conception singulière du monde que s’est forgée Klein à partir d’expériences parallèles : le judo (en japonais, « pratique de l’art ») fondé sur les forces et éléments naturels du cosmos (eau, air, feu, terre), pour la visualisation et l’assimilation des énergies positives ou contradictoires, et la philosophie ésotérique des Rose-Croix qui recherche les forces spirituelles gouvernant l’Univers.
L’activité d’Yves Klein est donc gouvernée par une cosmologie qui fait du monde le principal acteur de l’art. C’est cette idée du monde comme œuvre que Klein apporte au Nouveau Réalisme.
Néanmoins, la finalité de sa démarche reste pleinement artistique. Ses théories aussi bien que ses innovations sont à interpréter comme des contributions majeures à l’évolution de l’art contemporain dont l’artiste avait clairement conscience. Seule une vie trop courte l’a empêché d’achever ses projets et de diffuser ses conceptions. En témoignent les artistes de la génération suivante qui, refusant l’objet esthétique, ont su hériter de ses innovations, par-delà son parti pris mystique.
1. Yves Klein, L’architecture de l’air, Conférence de la Sorbonne, 1959