Stéphanie Saadé, la mémoire dans la peau
Au numéro 1 du boulevard Hausmann, dans le bas huppé du neuvième arrondissement de Paris, l'ambiance est feutrée. Derrière les murs hausmanniens, au desk, des employé·es renseignent, orientent et accompagnent. Il faut montrer patte blanche pour rencontrer l'artiste Stéphanie Saadé, en résidence chez BNP Paribas Banque Privée. Voilà six mois qu'elle s'est installée dans l'un des salons du rez-de-chaussée, pour y travailler sur un projet de grande ampleur : « Je ne pouvais le réaliser dans mon atelier, reconnaît-elle. J’ai pu initier la recherche d’artisans à même de réaliser le projet, rechercher des éléments constituant la matière de l’œuvre, creuser la facette historique de l'ensemble et gérer tout l’aspect logistique et administratif. »
La native de Broummana, Liban, place la mémoire au cœur de son travail poétique, tout en finesse et en analogies. Pour la réalisation de Traversée des états, l'artiste recourt au terrazzo. « Un motif graphique très puissant et très présent au Liban, dit-elle. J'ai moi-même grandi dans une maison avec un sol en terrazzo. C'est de là que j'ai eu l'idée de réaliser ces panneaux. » Pour son projet, elle commence par collectionner des albums de la diva libanaise, Fairouz, qui représente toutes les régions, toutes les minorités du Liban ; vinyles, cassettes et disques compacts chinés dans des brocantes. Elle fait ensuite réduire ce matériau brut en éclats de huit millimètres — « Et dire qu'on nettoyait, qu'on astiquait chacun de mes achats », sourit-elle — afin de pouvoir l'intégrer à la matrice minérale, où chaque support trouve naturellement sa place, par gravitation ; le vinyle en bas, la bande magnétique au milieu et tout en haut le CD.
La dématérialisation qu'elle opère retrace chronologiquement différents états de l'architecture au Liban, où le terrazzo, peu à peu, a occupé une place prédominante, tout en renvoyant à la modernisation de la musique de Fairouz, puique chaque panneau agrège un album différent de sa musique, Andaloussiat (1965-1966) et Maarifti Feek (1987). C'est aussi cette dématérialisation que l'artiste observe dans la banque ; des pièces d'argent, aux billets, à la carte bancaire, puis au portable, aux flux numériques.
C’est un principe de transmutation plutôt que de remémoration qui régit le rapport de l’art de Stéphanie Saadé au passé. C’est moins dans les tréfonds de la mémoire que dans ceux de la matière que celui-ci se joue.
Michel Gauthier, commissaire de l'exposition
Pour Michel Gauthier, conservateur au Musée national d'art moderne, et commissaire du parcours « Présence », « une large partie de l’œuvre de Stéphanie Saadé trouve assurément sa source dans le passé. Un passé personnel le plus souvent, celui de son enfance au Liban. C’est ainsi que The Encounter of the First and Last Particles of Dust (2019) a pour matériau le tapis qui recouvrait le sol de sa chambre d’adolescente, sur lequel a été brodé le dessin des trajets marquants qu’elle accomplissait à Beyrouth durant cette période. […] C’est un principe de transmutation plutôt que de remémoration qui régit le rapport de l’art de Stéphanie Saadé au passé. C’est moins dans les tréfonds de la mémoire que dans ceux de la matière que celui-ci se joue. » L'œuvre de Stéphanie saadé est visible au niveau 4 du Musée jusqu'au 13 mai 2024. ◼
Fonds de dotation Centre Pompidou Accélérations, l'art contemporain au cœur du monde de l'entreprise
Première banque privée en France avec 121 Md€ d’actifs confiés à fin 2022, BNP Paribas Banque Privée s’est dotée d’un service dédié au conseil en art dès 1976. Son équipe, composée d’historien·ne·s de l’art, propose un conseil personnalisé et des services sur-mesure dans l’achat et la vente d’œuvres d’art principalement moderne et contemporain. BNP Paribas Banque Privée a soutenu la troisième saison du fonds de dotation Centre Pompidou Accélérations avec beaucoup d’enthousiasme.
« BNP Paribas Banque Privée souhaite contribuer au rayonnement de la création contemporaine en France, explique son directeur Nicolas Otton. Nous sommes donc particulièrement fiers d’avoir pu participer à la création de Traversée des états, œuvre à laquelle notre artiste en résidence, Stéphanie Saadé, réfléchissait depuis 2014. »