Serge Bloch : « Mettre les gens dans le dessin, mettre le dessin dans la vie »
Connu pour ses personnages Max et Lili (depuis 1992) et Samsam (depuis 2000), Serge Bloch fait du dessin son « outil depuis toujours ». Issu de l’atelier d’illustration de Claude Lapointe de l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg, il fait rapidement de l’édition jeunesse son domaine de prédilection, en tant qu’auteur et en tant que rédacteur en chef de la revue Astrapi, mais ne s’y cantonnera pas, le dessin étant « un immense territoire à explorer ». Son travail pour la presse (The New York Times, The Washington Post, Libération…) et la communication l’amèneront par exemple à créer l’identité visuelle du TGP (Théâtre Gérard Philippe) en Seine-Saint-Denis. Il poursuit aujourd’hui l’aventure au TNP (Théâtre national populaire) de Villeurbanne, pour lequel il prépare des affiches en réalité augmentée, afin de faire ce qui lui plaît : « mettre les gens dans le dessin, mettre le dessin dans la vie ».
Cette ambition est aussi celle qui a guidé le projet Les Chercheurs d’art. Publié aux éditions du Centre Pompidou, cet album invite les enfants à découvrir les coulisses de trente œuvres d’art, toutes issues de la collection du Musée national d’art moderne. À côté des œuvres et des textes d’Alice Harman, les dessins de Serge Bloch, esquissés par un simple trait noir et complétés par des ajouts colorés, soulignent le ton ludique et humoristique, voire impertinent, de l’ouvrage. Rencontre avec un dessinateur pour qui l’art est un jeu.
Quelle est votre rapport au Centre Pompidou ?
Serge Bloch – Mon rapport au Centre Pompidou, il est de voisinage puisque j’ai mon atelier à côté ! Mais c’est la première fois qu’on fait quelque chose ensemble. Je fréquente le Centre Pompidou depuis longtemps. J’aime cet escalator en surplomb de Paris, je trouve l’idée géniale. Mais comme tout un chacun, au début, j’étais un peu sceptique. À l’époque, j’avais une vingtaine d’années, j’habitais à Strasbourg, mais je venais régulièrement à Paris. C’était une surprise d’architecture, voire une aberration, de tout reléguer dehors comme ça ! Renzo Piano est un architecte que j’ai su apprécier avec le temps. Le Centre Pompidou, c’était son premier grand bazar, mais j’aime beaucoup le Whitney Museum, à New York. J’aime que le bâtiment ne soit pas trop ostentatoire, qu’il s’intègre à l’environnement, grâce à cette circulation extérieure, en terrasse, au-dessus de la ville. Piano ne pense pas le musée comme une forteresse : quand on y est, on est dans le quartier, on n’est pas coupé.
À l’époque de sa construction, le Centre Pompidou était une surprise d’architecture, voire une aberration : tout reléguer dehors comme ça ! Renzo Piano ne pense pas le musée comme une forteresse.
Serge Bloch
Des expositions, des œuvres marquantes ?
SB – David Hockney, Walker Evans, Pierres Soulages… J’ai découvert pas mal de photographes au Centre Pompidou, Josef Koudelka par exemple. J’aime aussi beaucoup les collections permanentes, j’aime m’y balader. Et c’est ce que le projet Chercheurs d’art propose d’ailleurs : une promenade dans les collections du Musée.
Comment est né le projet des Chercheurs d’art ?
SB – C’est un éditeur anglais, Thames & Hudson, avec qui on voulait faire un livre depuis longtemps, qui est à la source de ce projet. Mon univers à moi, c’est plutôt la fiction que le documentaire. Même s’il m’est arrivé quelquefois d’être un peu didactique, ne serait-ce qu’avec cette « encyclopédie de la vie » qu’est Max et Lili.
Comment s’est effectué le choix des trente œuvres présentées ?
SB – Le parti pris général est plutôt engagé – pas mal d’artistes femmes, et des textes dans lesquels l’autrice, Alice Harman, se montre assez militante. Klein et Picasso ne sont par exemple pas épargnés… Preuve que ces « grands artistes » ont, eux aussi, leurs défauts. Dans les choix qu’on a faits ensuite, j’ai insisté pour que l’on mette une reproduction de l’œuvre en grand, au début de chaque chapitre. Ça me semblait plus intéressant d’avoir d’abord un accès direct, immédiat, à l’œuvre.
Avec Les Chercheurs d’art, je voulais rendre une certaine proximité avec les œuvres, donner au jeune lecteur l’idée que ce n’est pas impossible de le faire soi-même.
Serge Bloch
Dans Chercheurs d’art, vos illustrations montrent la « face cachée » des œuvres et des artistes : vos dessins donnent corps à ces artistes tout en traduisant l’esthétique propre à chacun. Comment avez-vous procédé ?
SB – Je me suis amusé à jouer avec les formes, les codes et les techniques de chaque artiste… C’était vraiment tout le jeu pour ce livre. Je connaissais la plupart des œuvres, j’en avais vu certaines. Mais je suis allé regarder dans les livres et sur Internet pour observer comment chaque artiste procédait. L’idée était de faire une « citation » à chacune de ces esthétiques singulières. Je voulais aussi rendre une certaine proximité, donner au jeune lecteur l’idée que ce n’est pas impossible de le faire soi-même. Une façon de mettre l’œuvre à disposition, tout en la mettant à distance. Je pense à la mise en scène des œuvres dans les musées… Si on les mettait toutes par terre, on serait tout de suite moins impressionné !
Quelles sont vos influences pour vos dessins, les artistes qui vous inspirent ?
SB – J’ai beaucoup d’admiration pour Paul Klee dessinateur, que j’ai découvert il y a longtemps. Selon moi, c’est non seulement un travail exceptionnel de dessin mais aussi un véritable exercice de maîtrise – dans des petits formats, dans des registres qui vont d’un bout à l’autre du champ du dessin. J’aime beaucoup le dispositif que Klee a reproduit tout au long de sa vie : sur une petite feuille de papier, il met une autre feuille de papier, déjà existante, et il montre ça tout simplement, en ajoutant seulement un trait et un titre en-dessous. Il ne se perdait pas dans des choses trop laborieuses. Pour un dessinateur, c’est une vraie école de dessin, un exercice de liberté.
Il y a évidemment plein d’autres artistes que j’admire… La liste est longue ! J’avais fait à la fin de mon livre La Grande Histoire d’un petit trait (éditions Sarbacane, ndlr) un petit panthéon des artistes qui m’ont inspiré : Alexander Calder, dont j’aime particulièrement le travail autour de l’univers du quotidien comme ses petits objets, ses jouets, ses mini-sculptures, mais aussi Joan Miró, et beaucoup de dessinateurs américains, comme Saul Steinberg… Ce que j’aime chez Calder, et chez tous ces grands artistes, c’est qu’il n’y a pas de frontière entre art et artisanat. Picasso par exemple, ça ne le dérangeait pas de faire des assiettes !
Ce que j’aime chez Calder, et chez tous ces grands artistes, c’est qu’il n’y a pas de frontière entre art et artisanat. Picasso par exemple, ça ne le dérangeait pas de faire des assiettes !
Serge Bloch
L’humour est quelque chose qui traverse et anime tous vos projets…
SB – L’humour, ça rend libre, c’est une manière légère de dire les choses qui ne fonctionnent pas. Dans mon travail, j’essaie toujours de mettre de l’humour. Juste avant le confinement, j’ai fait une exposition au Centquatre à Paris qui proposait au visiteur des « boîtes à rires ». C’était un savant mélange entre de la farce pure – nous avons notamment créer des boîtes dans lesquelles on pouvait mettre sa tête dans une assiette, pour faire comme si quelqu’un allait nous manger – et des choses plus poétiques – avec le concours de l’écrivain Frédéric Boyer par exemple. En art, j’aime les créateurs dont l’univers est imprégné d’humour, c’est le cas de Calder. Je n’aime pas quand on se prend trop au sérieux. J’aime quand il y a de la légèreté, de la fantaisie. Oui, surtout de la fantaisie. ◼
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Dessin de Serge Bloch pour l'album Les Chercheurs d'art, publié aux éditions du Centre Pompidou, 2021