L'atelier de Brancusi, matrice de tout son œuvre
« L’effet de l’œuvre de Brancusi est cumulatif. Il a créé tout un univers de la FORME, il faut le voir dans son ensemble, c’est un système », écrit Ezra Pound. C’est dans l’atelier de Brancusi, à la fois matrice et fruit d’une vie de création, que se manifeste cet univers. Arrivé à Paris en 1904, le sculpteur roumain occupe d’abord une mansarde au 10, place de la Bourse, puis un grenier au 16, place Dauphine. En 1907, Brancusi s’installe dans un atelier à verrière au 54, rue du Montparnasse, complété par un local voisin, 23, rue d’Odessa. C’est là que naissent ses premières œuvres majeures comme La Prière, là que vient poser la baronne Frachon pour son portrait. L’atelier s’agrandit en 1912 par la location de nouveaux locaux voisins, au 47, rue du Montparnasse et au 36, avenue de Châtillon.
Tout ou presque naît de la main de Brancusi : la grande cheminée en calcaire, le poêle blanchi à la chaux, les tabourets en bois et tables circulaires en plâtre servant à la fois de mobilier ou de socle, les haut-parleurs fichés dans des blocs de pierre.
Au début de l’année 1916, Brancusi investit un ensemble de trois ateliers au 8, impasse Ronsin. Dans cette ruelle calme du 15e arrondissement réunissant une communauté d’artistes, le sculpteur va vivre et créer la majorité de son œuvre. Début 1928 à la suite d’une inondation, il déménage au numéro 11. Abattant les cloisons de séparation, il aménage une vaste pièce pour présenter ses sculptures et recevoir ses visiteurs. L’atelier s’agrandira successivement à mesure de son succès et de son besoin d’espace : il loue en avril 1928 un atelier mitoyen, en 1930 un local donnant au numéro 9 où il installe son lit en mezzanine, puis en 1936 et en 1942 deux autres espaces pour ses outils et le stockage des œuvres et matériaux. La séparation symbolique entre partie publique et espace privé est marquée par une encadrure de porte en chêne. Tout ou presque naît de la main de Brancusi : la grande cheminée en calcaire, le poêle blanchi à la chaux, les tabourets en bois et tables circulaires en plâtre servant à la fois de mobilier ou de socle, les haut-parleurs fichés dans des blocs de pierre. Cette conception démiurgique concourt à l’unité de l’ensemble. Le sculpteur conçoit aussi la relation entre les sculptures, les regroupe, les met en dialogue. Les photographies révèlent cette structure perpétuellement réagencée. Découvrant le rythme trépidant de Manhattan en 1926, l’artiste y retrouve son « monde » : « Le voici, mon atelier ! Rien n’est fixe, rien n’est immobile. »
Après le scandale causé par Princesse X au salon des Indépendants en 1920, Brancusi cesse peu à peu d’exposer dans les salons ou galeries parisiennes, privilégiant son atelier pour présenter ses œuvres et garder le contrôle sur les moindres détails. En 1947, à René Drouin qui souhaite l’exposer dans sa galerie, Brancusi réticent répond : « Mais si vous voulez, vous pourriez faire cette exposition chez moi. » Après- guerre, l’artiste ne crée quasiment plus de nouvelles sculptures et se concentre sur leur agencement au sein de l’atelier. Quand il vend une œuvre, souvent à regret, il la remplace par son tirage en plâtre ou en bronze pour ne pas perdre l’unité de l’ensemble. C’est à l’intérieur de ce lieu, à la fois musée de sa création et œuvre d’art à part entière, que l’artiste impose sa vision d’un environnement total.
Espace de vie, de travail et d’exposition, l’atelier est aussi un lieu de réception, de fêtes, de dîners. Dès les années 1920, de nombreux admirateurs s’y pressent. Le passage par l’impasse Ronsin fait partie du circuit touristique des artistes et amateurs qui viennent à Paris.
Espace de vie, de travail et d’exposition, l’atelier est aussi un lieu de réception, de fêtes, de dîners. Dès les années 1920, de nombreux admirateurs s’y pressent. Le passage par l’impasse Ronsin fait partie du circuit touristique des artistes et amateurs qui viennent à Paris. Les témoignages abondent : plus qu’une visite, c’est un spectacle, une mise en scène que propose Brancusi. Le peintre Reginald Pollack raconte : « Nombre de bronzes étaient recouverts de toiles qui les protégeaient de la poussière, de sorte que lorsque quelqu’un entrait dans l’atelier, leur puissance ne se révélait pas immédiatement. Au cours de la visite, tandis qu’il parlait, Brancusi enlevait les toiles qui dissimulaient les sculptures. Le visiteur était d’abord surpris par le poli extrême des bronzes, et par les reflets qui jouaient à leur surface, avant que la pièce ne devienne identifiable en tant que telle. Brancusi préférait fixer les visites d’atelier en fonction de la saison et de l’heure, afin d’utiliser la lumière naturelle.
L’Oiseau dans l’espace était placé devant un triangle rouge sombre peint directement sur le mur. Durant la conversation, Brancusi pouvait brusquement faire glisser une toile au moyen d’une longue baguette. Un carré de lumière tombait alors miraculeusement sur la sculpture qui s’éclairait intensément. » L’expérience relève de la révélation au sens mystique. La poétesse Jeanne Foster, compagne de John Quinn, compare l’atelier à un « temple blanc, […] lieu de travail de l’un des dieux sur les hauteurs de l’Olympe ».
Soucieux de conserver l’unité de son atelier, Brancusi, naturalisé français en 1952, s’entend avec Jean Cassou, directeur du Musée national d’art moderne. Par testament, il lègue le contenu de son atelier à l’État français, à charge pour celui-ci de le reconstituer.
En 1952, face à la menace d’expropriation liée à l’extension de l’hôpital Necker, le soutien de Georges Salles, directeur des Musées de France, permet de préserver temporairement la cité d’artistes. Soucieux de conserver l’unité de son atelier, Brancusi, naturalisé français en 1952, s’entend avec Jean Cassou, directeur du Musée national d’art moderne. Par testament, il lègue le contenu de son atelier à l’État français, à charge pour celui-ci de le reconstituer. L’ensemble, riche de 137 sculptures, 87 socles originaux, 15 moules, 39 dessins, 2 peintures et plus de 2 300 plaques photographiques de verre et tirages originaux, devient l’un des joyaux de la collection du Musée.
Après une première présentation partielle en 1962 au Palais de Tokyo, une reconstitution est réalisée en 1977 face au Centre Pompidou. Fermé au public en 1990, à la suite d’inondations, l’atelier rouvre en 1997 sous la supervision de Marielle Tabart dans un bâtiment édifié par Renzo Piano. Lieu mythique de l’art moderne, l’atelier de Brancusi devenu « l’Atelier Brancusi » concilie qualité muséographique et exigence de conservation. Une nouvelle page de l’histoire s’ouvre aujourd’hui avec les travaux de rénovation du Centre Pompidou. Assortie d’un vaste chantier de collection et d’une numérisation 3D complète de l’espace, cette opération complexe offre l’opportunité de proposer, avec l'exposition exceptionnelle « Brancusi », de porter un nouveau regard sur ce lieu unique, dont l’histoire n’a pas fini de s’écrire. ◼
*Texte extrait du catalogue de l'exposition « Brancusi », éditions du Centre Pompidou.
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Legs Constantin Brancusi, 1957
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