Hommage à la galerie Chave
L’aventure de la galerie Chave est d’abord une histoire de famille et d’amis. Quand Alphonse Chave (1907-1975) s’installe en 1940 à Vence, la tranquille bourgade réputée pour la pureté de son air et de ses eaux n’offre aucune vie culturelle malgré la présence importante d’artistes dans la région. À sa boutique de jouets et de matériel d’art, il adjoint en 1947 une annexe, la galerie Les Mages, d’abord orientée vers les artistes locaux. Décrite comme une « caverne aux trésors », la galerie rassemble une collection joyeusement hétéroclite et devient un lieu de rencontres amicales et de découvertes d’artistes en marge des circuits traditionnels. Le goût pour l’étrange, le rêve et l’intensité poétique guide ses choix. À l’été 1955 a lieu la rencontre décisive avec Jean Dubuffet, attiré à Vence par le calme et le climat. Alphonse Chave organise en octobre une exposition personnelle de ses tableaux récents. Les deux hommes se fréquentent quotidiennement, chinent et partagent leurs trouvailles pendant une décennie. Fruit de cette complicité artistique et intellectuelle, l’exposition « Art Brut » à l’été 1959 réunit aussi bien les artistes de la galerie que la Collection de l’Art Brut réunie par Dubuffet. Par son intermédiaire, Chave se lie à Gaston Chaissac et Slavko Kopač, et découvre l’œuvre d’Eugène Gabritschevsky, véritable révélation, dont il acquiert presque la totalité de l’atelier.
Je n’ai qu’un ami ici, c’est le bon Alphonse Chave. Il aime plaisanter et rire. Il tient un petit bazar où se vendent des pointes Bic, des cahiers d’écolier, des jouets d’enfant, et, par ailleurs, une jolie galerie de tableaux où les clients manquent totalement et qui ne lui apporte que déficits calamiteux. Je prends le café avec lui chaque jour après le déjeuner de midi.Jean Dubuffet
Autre figure clé de cette histoire, l’écrivain, peintre et poète dadaïste, Georges Ribemont-Dessaignes, qui vit oublié de tous à Saint-Jeannet, fréquente la galerie dès ses débuts. Par son biais, Chave tisse des liens amicaux avec les cercles surréalistes. En 1957, l’exposition « Quand les poètes dessinent et peignent » réunit notamment Henri Michaux, Raymond Queneau et Jacques Prévert, qui signe sa « Balade sur le Mont Chave ».
Balade sur le Mont Chave
Jacques Prévert
De bon matin,
Sur la route de Vence,
Si par heureux hasard,
Vous rencontrez le train
De trois grands rois
Qui partent en voyage
Sachez qu’ils vont
À la galerie Les Mages.
En 1958, le fils d’Alphonse, le jeune Pierre Chave, découvre la lithographie dans l’atelier que Jean Dubuffet s’est fait installer à Vence. Professeur patient et pédagogue, l’artiste l’initie à l’art de la gravure et lui fait don quelques années plus tard de sa presse et de son matériel. C’est ainsi que la galerie s’enrichit d’un atelier de lithographie artistique, mené par Pierre Chave. La qualité des affiches et des livres illustrés de la galerie reflète l’importance accordée à l’édition. Les précieux petits catalogues des expositions collectives témoignent de la diversité des artistes, connus ou inconnus, parmi lesquels Hans Bellmer, Man Ray, Dorothea Tanning, Dado, Asger Jorn, Robert Malaval, Fred Deux, Paul-Armand Gette… S’il reste à distance de l’école de Nice, Alphonse Chave héberge en 1961-1962 le jeune Robert Malaval, qui élabore et expose à Vence son Aliment blanc, lequel ne manque pas d’intéresser Dubuffet.
Dès 1966, Pierre Chave devient l’un des lithographes attitrés de Max Ernst. Installé dans le Var, l’artiste surréaliste travaille assidûment avec la galerie, y réalisant sept expositions personnelles et exécutant plus de deux cent trente planches lithographiques. Dans un esprit purement surréaliste, Ernst écrit à propos des « surprises du hasard » :
« Pendant la “mise en route” d’une série de lithos en couleurs, mon ami Pierre Chave, lithographe émérite, a découvert, comme par hasard, l’éclat dû à la fortuité des compositions. Le procédé est bien simple : au lieu de jeter les épreuves obtenues par le hasard des surimpressions successives dans le panier à papier, prenez la peine – ou offrez-vous le plaisir – de les regarder attentivement de près ou (de loin). Laissez libre jeu aux jeux de votre imagination. Réjouissez-vous de la soudaineté de vos associations mentales et sensuelles, des harmonies et des dissonances de couleurs que le hasard vous a ainsi réservées. »
Au décès d’Alphonse Chave en 1975, Pierre Chave et son épouse Madeleine reprennent la direction de la galerie. Ils poursuivent et renouvellent l’histoire de ce « haut-lieu de l’art insolite » par leurs expositions et la publication de catalogues de référence : « Petit traité des épluchures » de Philippe Dereux (1994), « Jean Dubuffet, la période de Vence » (1995), « Fred Deux, rétrospective »(2001), « Eugene Gabritschevsky, un peintre visionnaire » (2016)… En 2018, après 71 ans d’existence, la galerie Chave s’agrandit, ajoutant à son siège historique du 13 rue Isnard l’ancien atelier de lithographie et d’édition, transformé en salle d’exposition.
Dans leur galerie hors du commun, Pierre et Madeleine Chave ont su allier la culture et l’audace à la plus grande sincérité. Le Centre Pompidou rend aujourd'hui hommage à leur engagement exceptionnel. ◼
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Ici, en 2011, Pierre Chave présentait une nouvelle exposition de lithographies dans sa galerie.
Photo M. D.
Coordinateur
Christian Briend
Commissaires
Aurélien Bernard, Christian Briend, Ariane Coulondre, Sophie Duplaix, Mica Gherghescu, Julie Jones, Valérie Juilliard, Anne Lemonnier, Philippe-Alain Michaud, Camille Morando