Disparition de Piero Gilardi, père de l'arte povera
À l’été 1966, la galerie Sperone de Turin présente une exposition qui comptera pour l’émergence de l’arte povera : « Arte abitabile ». Elle regroupe alors des œuvres de Gilardi, Piacentino et Pistoletto. Germano Celant invite Gilardi l’année suivante à l’exposition fondatrice de l’arte povera en 1968, « arte povera e azioni povere », à Amalfi. Pour sa première exposition personnelle, à Turin, l’artiste présente un ensemble de sculptures-maquettes d’objets technologiques et de maisons cybernétiques. Toujours à Turin, Gilardi réalise une série d’objets « pauvres », « Oggetti poveri », d’usage ordinaire (peignes, sabots, scies…), autant de questionnements sur l’art, la fonction, le quotidien. Conçu en 1964, Totem domestico fait partie des premières sculptures en polyuréthane élaborées à la manière d’objets d’ameublement, d’objets « à usage domestique ». L’artiste ramène l’art sur un mode à la foi transgressif et ludique à sa condition d’objet matériel et utilitaire : il invite à l’utiliser, et même à l’habiter pour retrouver une relation primaire à la nature comme à la culture.
L’œuvre, avec cette pierre massive dangereusement suspendue, évoque le sentiment de catastrophe sociale qui émergeait dans les années 1960.
Toutes ces œuvres réalisées avec des matériaux propres à l’industrie du meuble se doivent d’être fonctionnelles mais aussi confortables dans leur contact avec le corps. Associant fonction pratique et fonction symbolique, cet archétype de l’habitation reprend le tipi, une structure néolithique. Totem domestico souligne l’exigence d’une mémoire anthropologique d’une période primitive et affirme les besoins primaires, en opposition à la culture de consommation de masse, au pop art et en résonance avec les situationnistes qui ont érigé l’espace domestique, celui de la vie quotidienne, comme nouvel espace de l’art. Il exalte le mauvais goût, l’aspect brut, le primitif auquel il associe le ludique propre au monde de la bande dessinée.
L’œuvre, avec cette pierre massive dangereusement suspendue, évoque le sentiment de catastrophe sociale qui émergeait dans les années 1960 en réponse au triomphe du modèle fordiste, emblème de la production de masse et de son désastre programmé, notamment dans la région turinoise où siège le constructeur automobile Fiat. Totem domestico fait aussi appel à la participation du public. L’exemple d'Allan Kaprow et de ses happenings vus à New York ont fortement impressionné Gilardi. Le spectateur ou la spectatrice étaient invités à s’allonger sous la pierre suspendue et à imaginer ce qui pouvait se passer. Cette expérience de la peur relevait de ce qu’il nommait la « micro emotività » et s’opposait à l’exubérance pop, à son anonymat, comme à la froideur du minimal. ◼
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Piero Gilardi, « Totem domestico », 1964, structure en bois, polystyrène, mousse de polyuréthane, 200 × 200 × 300 cm
© Centre Pompidou