Bill Plympton, l'éternel franc-tireur de l'animation
Sur un air d’accordéon, une génisse tète avec avidité le pis de sa maman quand son regard est soudain aimanté par un panneau publicitaire planté au bout du champ. La jeune vache n’a alors plus qu’un seul but dans la vie : partir à l'abattoir pour garnir un juteux Happy Burger. Le point de départ du court métrage La vache qui voulait être un hamburger, réalisé en 2010 par le cinéaste américain Bill Plympton, aiguise la curiosité et peut-être aussi un peu l’appétit. Le film fait partie de la programmation du festival en ligne Hors Pistes du Centre Pompidou (du 1er au 14 février 2021) qui a pour thème cette année l’écologie des images. En partenariat avec la revue Blink Blank, dédiée au cinéma d’animation, six séances accessibles gratuitement sur réservation – diffusées en ligne via la plateforme La 25e heure – montrent chacune un court métrage qui interroge le rapport des humains à la Terre. La vache… présenté le mercredi 10 février à 19 heures est suivi d'une rencontre avec le cinéaste.
« Dans notre sélection qui accorde une grande place à la poésie, nous avions envie d’intégrer le regard subversif de Bill Plympton sur notre société de consommation, précise Amélie Galli, programmatrice au service des cinémas du département culture et création du Centre Pompidou. En moins de six minutes, il synthétise l’absurdité des États-Unis dans leur rapport à l’environnement. C’est presque un tract politique. » Si on reconnaît bien dans cette pastille animée le ton corrosif de Bill Plympton, en revanche, on a bien du mal à distinguer la signature graphique de l'auteur de Mutants de l'espace (2001), Idiots et des Anges (2008) et Les Amants électriques (2016). Très éloigné de ses crayonnés pastels un peu tremblants, La Vache… semble fabriquée par un enfant maîtrisant le logiciel Paint et les trois couleurs primaires. Pour dénoncer la bêtise de la publicité, le cinéaste lui a tout simplement subtilisé ses armes. « L’éclat des couleurs, les lettrages et les contours noirs épais donnent au film un aspect très pop qui passe bien sur un écran de télévision », raconte le cinéaste de 74 ans, joint par téléphone à New York alors qu’il rentre tout juste d’un rendez-vous chez le dentiste. Vérification faite, Bill Plympton n'a rien perdu de son mordant.
En moins de six minutes, Bill Plympton synthétise l’absurdité des États-Unis dans leur rapport à l’environnement. C’est presque un tract politique.
Amélie Galli, programmatrice
L’idée de sa fable bovine déjantée a germé dans la tête de l’artiste lors d’un trajet en voiture dans son Oregon natal. « C’est une région laitière. Un jour, alors que je conduisais le long de la côte, près de la ville de Tillamook, célèbre pour sa fromagerie Tillamook Cheese, j'ai aperçu ces énormes vaches qui broutaient. Toute la journée, elles ne font que manger et dormir. Je me suis dit : "Mince, elles vont devenir de sacrés steaks ! Et si le but dans la vie d'un de ces bovins était de devenir le meilleur hamburger ?" ». Pour info, Bill Plympton n’est pas végétarien. Bien au contraire, comme on le découvre dans le générique de fin, il se qualifie lui-même de « burger lover ». « J'ai de la peine pour les vaches, mais c'est le cycle de la vie, comme on l’entend dans le refrain du Roi Lion de Disney ! Les hommes nourrissent les animaux et vice-versa. C’est la même chose en ce qui concerne le rapport entre les humains et la Terre. L'herbe pousse, les vaches mangent l'herbe. Les vaches sont abattues pour être transformées en hamburgers que les consommateurs avalent. Puis, les gens meurent. Les vers les dévorent et permettent à l'herbe de sortir de terre. La nature fonctionne ainsi. » La chaîne alimentaire n’est qu’un jeu du marabout.
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Dans le cinéma fait main de cet ancien illustrateur de presse, on retrouve ce ton fantastiquement trash, cette lucidité facétieuse, cette absurde cruauté pour dénoncer les travers de la société. On peut traduire cette vision comme une forme d’engagement, mais à l’écouter on aurait tort, ce n’est que du divertissement. « Beaucoup de gens pensent que je suis un cinéaste politique. Certes, j'aborde les problèmes de la vie dans mes films mais je les fais avant tout pour faire rire les gens. Voilà l'acte politique ultime. En raison du coronavirus et des difficultés politiques actuelles, les gens sont très déprimés et malheureux. Je veux leur redonner le sourire. La chose la plus importante que je puisse faire est de redonner aux gens le goût de la vie. La rendre supportable grâce à l'humour. »
Beaucoup de gens pensent que je suis un cinéaste politique. Certes, j'aborde les problèmes de la vie dans mes films mais je les fais avant tout pour faire rire les gens. Voilà l'acte politique ultime.
Bill Plympton
Chez l’enfant terrible du cartoon américain, l’humour est comme un café serré : noir, amer et tachycardique. Sur la jaquette du DVD de L'Impitoyable Lune de miel (Grand Prix du long métrage d’Annecy en 1998), l’avertissement se transforme en appât : « ce dessin animé n’est pas destiné aux enfants ». « Je veux faire des films pour adultes. Je ne fais pas des choses mignonnes pour les petits. Mon style visuel est assez noir. J'aime dessiner des méchants. Créer ces personnages est la partie la plus amusante de mon travail. Pour toucher une audience adulte, je dois aborder des sujets adultes comme la nudité, le sexe, la violence. Ils adorent ça. » Les influences de Bill Plympton vont de Jacques Tati à Quentin Tarantino, en passant par Roland Topor, Tex Avery, les frères Coen et des artistes comme le graphiste Milton Glaser, l’auteur de BD Winsor McKay, le peintre Bob Blackmon ou l’illustrateur des années 1930 N.C Wyeth.
Bill Plympton a le droit de faire ce qui lui chante. Il est son propre patron… et son principal employé. Il écrit les scénarios qu’il tourne lui-même. « Je peux me lever à 5 heures du matin et rester à ma table à dessin jusqu'à 21 heures. Je prends beaucoup de plaisir à dessiner. L’autre étape que j’adore est la création de la musique du film. Je travaille actuellement sur un nouveau long métrage intitulé Slide. Quand j'étais dans l'Oregon je jouais de la slide guitare, un instrument de country, la musique avec laquelle j'ai grandi. Slide raconte l'histoire d'un cow boy qui affronte les bandits en jouant de sa six cordes. Le projet compte environ cent mille croquis alors que d'habitude j'en fais trente ou quarante mille. Celui-ci est très long et très détaillé. J'espère l’avoir terminé à la fin de l'année. Le plus compliqué est de parvenir à sortir mes films. Je ne suis pas un très bon vendeur. »
En 2020, le réalisateur n’a pas été aidé par la crise sanitaire. La fermeture des salles de cinéma a entraîné une chute de son activité. Pour ne pas mettre la clé de son studio sous la porte, il a lancé une campagne de financement participatif pour boucler Slide. L’objectif était de 77 800 dollars. Les revenus ont finalement dépassé la barre des 84 000 dollars. Sortie prévue en juin 2022. Si Bill Plympton peut compter sur le soutien de ses fans, lui ne veut pas se contenter de cette aura d’artiste culte. « J'ai vraiment l'ambition de montrer mes œuvres partout. Je veux être populaire. Je veux qu'Hollywood aime mes films. Mais, sans doute parce que je vis à New York, parce que je ne pratique pas l'animation par ordinateur ou parce que je ne fais pas de films pour enfants, j’occupe la même position qu’un David Lynch. Les gens aiment mon travail et me connaissent, mais je n'attire pas un large public. »
J'ai vraiment l'ambition de montrer mes œuvres partout. Je veux être populaire. Je veux qu'Hollywood aime mes films.
Bill Plympton
À bientôt 75 ans (le 30 avril), Bill Plympton pourrait être un homme riche et profiter de sa retraite. Malheureusement pour son banquier, il a arbitré en faveur de son indépendance. « J'ai refusé de nombreux projets qui m’auraient rapporté beaucoup d'argent. J'aurais pu déménager à Los Angeles et travailler pour Disney ou Dreamworks. Mais je voulais réaliser des films qui me plaisent et me rendent heureux. Je pense que c'est un reflet du style de vie de l'Oregon. Il faut faire les choses parce que vous aimez les faire pas pour devenir riche. » Au 19e siècle, aux États-Unis, il y avait deux voies vers la Côte Ouest. La piste de la Californie attirait les chercheurs d'or, celle de l'Oregon était empruntée par des gens motivés par autre chose que l'argent. Le Pacific Northwest est un territoire de pionniers.
Bill Plympton vit aujourd’ hui à New York, « une ville intéressante, vibrante, multiculturelle qui m'apporte beaucoup d'idées. J'ai toujours sur moi un carnet à dessin. Un jour, en me promenant à Madison Square Park, près de chez moi, j'ai vu un chien qui aboyait sur un petit oiseau. Je me suis demandé : "Pourquoi est-il effrayé par cette créature innocente ?" Je suis alors entré dans sa tête et j'ai compris qu’il avait peur que le volatile attaque son maître. J’ai imaginé un animal paranoïaque qui ne perçoit que des menaces autour de lui : les écureuils, les papillons, les fleurs… Cela a donné le court métrage Guard Dog, qui a été nommé aux oscars et a remporté un grand succès. » Les scénarios fous de Bill Plympton naissent partout, au milieu d’un champ comme au coin de la rue. ◼