Le Cannibalisme des objets, avec écrasement simultané d'un violoncelle…
[1932]
Le Cannibalisme des objets, avec écrasement simultané d'un violoncelle
[1932]
Domaine | Dessin |
---|---|
Technique | Mine graphite, fusain et craie blanche sur papier kraft |
Dimensions | 89 x 116 cm |
Acquisition | Dation, 1999 |
N° d'inventaire | AM 1999-23 |
Informations détaillées
Artiste |
Salvador Dalí
(1904, Espagne - 1989, Espagne) |
---|---|
Titre principal | Le Cannibalisme des objets, avec écrasement simultané d'un violoncelle |
Date de création | [1932] |
Domaine | Dessin |
Technique | Mine graphite, fusain et craie blanche sur papier kraft |
Dimensions | 89 x 116 cm |
Inscriptions | Signé en bas à droite : Gala Salvador Dali. Non daté |
Acquisition | Dation, 1999 |
Secteur de collection | Cabinet d'art graphique |
N° d'inventaire | AM 1999-23 |
Analyse
Ce très rare dessin de grand format relève pleinement de l’« activité paranoïa-critique » dont Dalí se réclame l’expérimentateur dès 1929, trois ans avant que ne paraisse la thèse de Jacques Lacan : en juillet 1930, dans « L’Âne pourri » (Le Surréalisme au service de la Révolution, nº 1), il propose, face au procédé jugé désormais « passif » de l’automatisme, sa fameuse « méthode spontanée de connaissance irrationnelle basée sur l’objectivation critique et systématique des associations et des interprétations délirantes », qui ouvre la voie à une nouvelle conquête onirique de l’irrationnel, à une exploration et à une objectivation sans précédent des données de l’inconscient. L’inventeur des « objets à fonctionnement symbolique », dont la création relance, dès 1930, les recherches surréalistes, devait sans doute considérer ce dessin comme une œuvre accomplie – était-il cependant une maquette sur kraft préalable à un tableau (le cas en serait unique dans la production de Dalí) ? – puisqu’il le présenta à la fameuse « Exposition surréaliste » chez Pierre Colle en 1933. Le Cannibalisme des objets y figurait aux côtés d’œuvres aussi magistrales que L’Europe après la pluie de Max Ernst et la Table en plâtre (MNAM) d’Alberto Giacometti, objet avec lequel il entretient des liens étroits.
Dalí se livre ici à une orchestration de ses fantasmes sexuels, dont il donnera une configuration quasi similaire dans une toile de 1933 : Moi-même, à l’âge de 10 ans, quand j’étais l’enfant-sauterelle (coll. Reynolds Morse). Sur et autour d’une table en extension phallique, dont un pied perfore le ventre d’un violoncelle tandis qu’un autre écrase un coussin mou, se déploient des « êtres-objets » mâles ou femelles, anamorphiques, dont les membres s’étirent, s’entremêlent, se mutilent à la manière de Goya, dont l’œuvre gravé le fascinait : ces organismes hybrides, auxquels se greffent sein, pain, chaussure, cuiller, couteau, encrier, constituent les motifs rituels des fantasmes de castration, de cannibalisme et de putréfaction, qui sont au cœur du délire dalinien. La figure, laissée à l’état d’esquisse, de Guillaume Tell en père hydrocéphale et dévoreur – apparition moustachue véritablement « revenante » – apporte à l’hallucination visuelle sa force de cauchemar. Ce dessin au crayon et fusain, rehaussé de craie blanche, est exécuté avec une méticulosité quasi hyperréaliste dans l’illusionnisme des objets (à cette date, Dalí déclarait sa fascination pour Meissonier). Il revêt, par sa monochromie même – qui est proche de celle du Rêve (1931), ou d’une version de Dormeuse, cheval, lion invisible (1930) –, un caractère véritablement spectral. Avec sa virtuosité graphique habituelle, Dalí en multipliera les variations formelles, aussi bien dans ses gravures pour Les Chants de Maldoror , 1933-1934 (Chant IV), que dans ses Studies for Motion Picture Scenario (1935) ; il en donnera une conclusion picturale magistrale dans la Construction molle avec haricots bouillis, prémonition de la guerre civile de 1936 (The Philadelphia Museum of Art).
Agnès de la Beaumelle
Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008