Exposición / Museo
Surrealismo y el objeto
30 oct 2013 - 3 mar 2014
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Un second chapitre de l’histoire du surréalisme s’ouvre en 1927 avec l’engagement de ses membres les plus actifs (André Breton, Louis Aragon, Paul Éluard, Pierre Unik, Benjamin Péret) dans les rangs du Parti communiste français.
En brandissant la bannière du surréalisme, Breton et ses amis avaient affirmé le projet d’un dépassement, d’une réinvention du réel. En 1924, le Manifeste fondateur du mouvement en appelait au « modèle intérieur », à un mépris du monde sensible que symbolisaient les yeux clos du personnage du Cerveau de l’enfant (1914) de Giorgio De Chirico. Le rêve, les puissances de l’inconscient inspiraient un automatisme graphique et scripturaire, une poésie « à toute vitesse » vouée à déborder, à affoler le réel.
L’engagement des surréalistes aux côtés des jeunes communistes de la revue Clarté et leur découverte de la biographie de Lénine de Léon Trotski avaient amorcé, dès 1925, une prise de conscience politique qui devait conduire à leur adhésion au Parti communiste français. Ce rapprochement impliquait la prise en compte d’un matérialisme, d’un réalisme qui constitue le fondement théorique, philosophique du communisme. Pour répondre à ce virage réaliste, Breton invite à la fondation d’une « physique de la poésie ». L’idéologie communiste, qui impliquait le rejet de la fétichisation marchande de l’oeuvre d’art, la suspicion à l’égard d’un « génie artistique » qui entérinait la division sociale du travail, dotait bientôt d’une signification « révolutionnaire » l’iconoclasme que le surréalisme avait hérité de Dada. L’objet, sur lequel allaient se cristalliser les réflexions du surréalisme militant, devait s’imposer comme la réponse à ce nouveau contexte philosophique et politique. Dix ans avant la fondation du surréalisme, en 1914, Giorgio De Chirico et Marcel Duchamp inventent deux objets appelés à connaître une fortune durable dans l’imaginaire plastique du mouvement. De Chirico peint son premier mannequin ; au rayon bricolage du Bazar de l’hôtel de ville, Duchamp fait l’acquisition d’un Porte-bouteilles qui deviendra son premier « ready-made ». Le Manifeste de 1924 présentera le mannequin comme un des objets les plus propices à provoquer le « merveilleux » surréaliste. De La Poupée (1933-1934) de Hans Bellmer aux mannequins qui borderont la « rue » de l’« Exposition internationale du surréalisme » de 1938, les figures de cire ou de plastique ponctueront les manifestations du surréalisme. Le Dictionnaire abrégé du Surréalisme, de 1938, reconnaîtra, lui, la place fondatrice qui revient aux ready-made de Duchamp dans l’invention de l’objet surréaliste.
S’ils relèvent du ready-made en ce qu’ils « recyclent » les objets du quotidien, les premiers objets surréalistes procèdent aussi du collage, du jeu du cadavre exquis pratiqué par les surréalistes depuis 1925. André Thirion relate les circonstances de leur invention : « Dalí et moi essayions de trouver des points d’ancrage à partir desquels chaque surréaliste pourrait exercer son talent vers une direction commune, dans le cadre d’une discipline acceptée par tous. Une de mes préoccupations était d’éviter un dérapage de l’intérêt que nous portions à la psychanalyse, aux rapports du conscient et de l’inconscient, vers des affirmations philosophiques que nos adversaires qualifieraient d’idéalistes et qui donneraient de la consistance aux accusations de freudisme. […] Dalí proposa d’entreprendre la fabrication d’objets à fonctionnement symbolique. » La Boule suspendue d’Alberto Giacometti, découverte par Salvador Dalí et André Breton en 1930 à la galerie Pierre, constitue le prototype de ces nouveaux objets. Le peintre catalan en généralise les principes : « Ces objets, qui se prêtent à un minimum de fonctionnement mécanique, sont basés sur les fantasmes et représentations susceptibles d’être provoqués par la réalisation d’actes inconscients. » Pendant quelques années (jusqu’à sa rupture avec le surréalisme en 1935), Giacometti produira plusieurs de ces objets manipulables et ludiques.
Au début des années 1930, un faisceau d’événements conduit Hans Bellmer à mettre en chantier une Poupée articulée qui actualise la figure du mannequin surréaliste. À l’hiver 1932, la mère de l’artiste lui expédie une caisse contenant les jouets de son enfance : « Parmi les rêveuses dépouilles qu’enfermait la boîte merveilleuse, il y avait des poupées aux membres disjoints mêlées à d’indicibles vestiges. » Alors que Bellmer se rapproche de George Grosz, le peintre des automates dadaïstes, il découvre un opéra d’Offenbach mettant en scène les contes d’E.T.A. Hoffmann (L’Homme au sable), dans lequel apparaît la poupée Olympia. Jalon essentiel de la mannequinerie surréaliste, La Poupée de Bellmer est investie de la dimension érotique qui, du mythe de Pygmalion et du récit libertin de Bibiena (La Poupée, 1747) aux modernes poupées de silicone, est associée à ces effigies féminines. Ces mannequins activent le sentiment éminemment surréaliste d’« étrange étrangeté », inspiré à Sigmund Freud par la poupée du conte d’Hoffmann et qu’il théorise dans son ouvrage de 1919 (Das Unheimliche).
L’Exposition surréaliste d’objets, présentée à la galerie Ratton en mai 1936, est vouée à la quintessence d’un surréalisme qui démontre sa capacité à transfigurer, à transmuter les objets et, par eux, le réel lui-même. Loin de tout savoir-faire, de tout « génie artistique », c’est la puissance de désignation surréaliste qui constitue l’objet de l’exposition. Point d’orgue de la réflexion surréaliste appliquée à l’objet, elle se place à l’apogée d’une courbe retraçant un processus de conceptualisation, d’affirmation, d’un surréalisme rendu à sa pureté à la fois poétique et théorique. Dans les vitrines, sur les murs, nulle trace (ou presque) du savoir-faire, du talent valorisé par l’esthétique « bourgeoise ». Readymade sortis momentanément de leur anonymat fonctionnel, ces objets défient toute spéculation, tout fétichisme (à l’instar du Ceci n’est pas un morceau de fromage de René Magritte qui, à l’issue de l’exposition, est démembré, restituant la cloche à fromage à son usage premier).
Dans le communiqué de presse qu’il prend soin de rédiger pour l’exposition, Breton établit la taxinomie des objets exposés : « objets naturels, minéraux (cristaux contenant de l’eau plusieurs fois millénaire), végétaux (plantes carnivores), animaux (tamanoir, oeuf d’oepyornix), des objets naturels interprétés (un singe en fougère) ou incorporés à des sculptures, des objets perturbés (c’est-à-dire modifiés par des agents naturels, incendies, tempêtes, etc.) […] plusieurs objets venus de l’atelier de Picasso, qui prennent place, historiquement, avec les célèbres readymade et ready-made aidés de Marcel Duchamp, également exposés. Enfin les objets dits sauvages, les plus beaux fétiches et masques américains et océaniens. […] Les objets mathématiques, surprenantes concrétisations des plus délicats problèmes de géométrie dans l’espace, et les objets trouvés et objets trouvés interprétés, nous conduisent aux objets surréalistes proprement dits. »
Cette liste annonce celle des objets qui composeront le « mur » qu’André Breton assemblera dans son atelier de la rue Fontaine après la Seconde Guerre mondiale. Comme le fera le « mur », l’exposition de la galerie Ratton « surréalise » les anciennes chambres des merveilles (Wunderkammern) et autres cabinets de curiosité. Monuments d’un savoir préscientifique, ils apparaissent à Breton comme les vestiges d’un temps durant lequel intuition poétique et connaissance rationnelle cohabitaient encore (une compatibilité que Breton verra à nouveau éclore dans les théories de la physique quantique). Parmi les objets alignés dans les vitrines, les « objets mathématiques » (ces modernes scientifica), découverts par Max Ernst à l’Institut Henri Poincaré, possèdent un statut exemplaire. Ils donnent une forme visible à des équations mathématiques complexes, illustrant, au plus haut point, la vocation des objets surréalistes à fonder une « physique de la poésie », à ancrer les idées dans le réel. Ils éclairent la nature d’objets trouvés surréalistes, concrétions de rêves et de désirs.
La démystification de l’oeuvre d’art et le projet d’inscription du surréalisme dans le monde concret, auxquels répond l’invention de l’objet, s’expriment aussi par une conquête de l’espace réel, par la mise en scène des expositions surréalistes qui annonce l’art de l’« Installation ». Marcel Duchamp, intronisé « Générateur arbitre » de l’« Exposition internationale du surréalisme » organisée en 1938 à la galerie des Beaux-Arts, conçoit le « décor », la « scénographie » de l’exposition, pour laquelle chacun de ses participants est invité à « habiller » un des seize mannequins qui bordent la rue surréaliste. La présence d’un automate « descendant authentique de Frankenstein », annoncée pour le vernissage, justifie la remarque d’un critique qui compare l’exposition à un « train-fantôme ».
Les menaces que la Seconde Guerre mondiale fait peser sur les surréalistes les conduisent à l’exil. La rupture que marque la guerre est à l’origine d’une évolution de la réflexion surréaliste appliquée à l’objet, qui devient le matériau élémentaire d’assemblages dont la logique constructive s’apparente toujours à celle des Cadavres exquis. Aux États-Unis, Max Ernst conçoit des créatures anthropomorphes en assemblant les moulages de plâtre de ses objets domestiques (bols, assiettes…). La rencontre d’Alexander Calder avec Joan Miró, en 1932, l’avait conduit à élargir son vocabulaire formel à un biomorphisme inspiré du monde végétal et animal. L’ensemble de sculptures qu’il réalise en 1935-1936, en assemblant des pièces de bois polies, évoque les oeuvres de Jean Arp, les objets de Miró.
Pablo Picasso apparaît comme un des protagonistes majeurs de cette sculpture d’assemblage avec laquelle s’identifie bientôt la plastique surréaliste. Dès 1912, il avait introduit dans ses oeuvres des objets puisés dans son environnement quotidien comme Composition à la chaise cannée. Le Verre d’absinthe, qu’il avait conçu en 1914, intégrait une cuiller réelle. Ce recours aux objets quotidiens devient significatif de l’oeuvre qu’il développe au début des années 1930, alors qu’il se rapproche du surréalisme. Sa Tête de taureau (1942) résulte de l’assemblage d’une selle et d’un guidon de vélo. Quelques années plus tard, la Vénus du gaz (1945) n’est plus qu’un brûleur de cuisinière placé en position verticale.
L’exposition Le Surréalisme en 1947, inaugurée en juillet à la galerie Maeght, reste fidèle au principe de dépassement de l’art qui avait donné naissance à l’objet surréaliste. Dans la préface du catalogue, André Breton évoque les « oeuvres poétiques et plastiques récentes », qui « disposent sur les esprits d’un pouvoir qui excède en tous sens celui de l’oeuvre d’art ». En 1947, ce pouvoir renvoie à la capacité de ces créations de constituer le ferment d’une mythologie nouvelle. Au coeur de l’exposition est aménagée une salle rassemblant des « autels », consacrés à « un être, une catégorie d’êtres ou un objet susceptible d’être doué de vie mythique ». Production de l’esprit, ces « psycho-objets » apparaissent comme les avatars exotériques des ready-made de Duchamp (qui réalise, une fois encore, l’« installation » de l’exposition de 1947, en fournissant les principes généraux d’une scénographie que réalise l ’architecte Frederick Kiesler).
La huitième « Exposition inteRnatiOnale du Surréalisme » (ÉROS), organisée en 1959 à la galerie Daniel Cordier, est consacrée à la puissance inspiratrice la plus profonde, la plus permanente du sur réalisme. Duchamp, qui déclarait vouloir ajouter l’érotisme à la liste des « ismes » du 20e siècle, imagine une porte « vaginale », un décor animé et olfactif : « patchouli à l’entrée, gradation de la finesse jusqu’au fond des dernières sal les ». L’exposition embrasse une vaste chronologie, de la Boule suspendue de Giacometti et La Poupée de Bellmer, au Bed (1955) de Robert Rauschenberg et aux Cibles de Jasper Johns. Dans la « Crypte du fétichisme », conçue par Mimi Parent, sont présentés, dans des casiers muraux, des « fétiches » qui viennent rappeler que l’objet surréaliste est consubstantiellement lié à l’érotisme (depuis les objets à fonctionnement symbolique associés par Dalí aux fantasmes érotiques). La critique, qui rapproche l’exposition ÉROS du musée Grévin ou de la boîte de nuit, témoigne de la réussite de Duchamp qui souhaitait que l’exposition défie les lois de « l’accrochage ». Dans une salle de l’exposition, un groupe de mannequins rappelle le « Festin cannibale » conçu par Meret Oppenheim, célébré le jour de son vernissage.
Répondant à l’appel d’André Breton pour la fondation d’« une physique de la poésie », Joan Miró avait délaissé momentanément la peinture pour entreprendre, en 1929, une série de Constructions dans lesquelles Jacques Dupin a vu une entreprise de « mise en question d’un outil plastique trop facilement dominé, après les plongées dans les eaux troubles, les eaux mères de l’inconscient et du rêve ». Ces oeuvres tenaient à la fois du « collage » et du « ready-made » : « Il ne récolte pas les choses comme un esthète pressé de jouer avec elles, de les bousculer, de les soumettre à son caprice, ni pour les intégrer à une vision de constructeur, non, il les transplante, telles quelles, il les accueille sur sa terre labourée, son aire de jeu. » Leur appliquant un anthropomorphisme joyeusement instable et précaire, Miró renoue grâce à elles avec la légèreté ludique des Cadavres exquis.
Ce qui s’expose dans l’art d’aujourd’hui sous les auspices de l’objet relève des principes dont se réclamait l’objet surréaliste. Le jeu des mots et les images qui caractérisent le ready-made inspirent l’oeuvre d’Ed Ruscha. L’« inquiétante étrangeté » des mannequins continue de fasciner Paul McCarthy. Les « jeux » de La Poupée de Hans Bellmer se prolongent avec les Sex Toys de Cindy Sherman. Ce sont encore les psycho-objets surréalistes que Heim Steinbach pose sur ses consoles contemporaines. Philippe Mayaux fait proliférer les moulages anatomiques (Objet-dard et autres) de Marcel Duchamp. Théo Mercier réinvente le Cadavre exquis dans la boutique des souvenirs pour touristes. La verve iconoclaste et libertaire du surréalisme innerve la boutique de farces et attrapes d’Arnaud Labelle-Rojoux. L’énigme d’Isidore Ducasse multiplie ses sortilèges dans la prolifération des colis postaux de Mark Dion.
Par Didier Ottinger, Directeur adjoint du Musée national d'art moderne, commissaire de l'exposition
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