Bedrohliche Zeichen (Signes menaçants)
1938
Bedrohliche Zeichen
(Signes menaçants)
1938
Domaine | Dessin |
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Technique | Peinture à la colle et mine graphite sur papier d'emballage collé sur carton |
Dimensions | 50,3 x 35 cm |
Acquisition | Dation, 1992 |
N° d'inventaire | AM 1992-146 |
Informations détaillées
Artiste |
Paul Klee
(1879, Suisse - 1940, Suisse) |
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Titre principal | Bedrohliche Zeichen (Signes menaçants) |
Date de création | 1938 |
Domaine | Dessin |
Technique | Peinture à la colle et mine graphite sur papier d'emballage collé sur carton |
Dimensions | 50,3 x 35 cm |
Inscriptions | Signé au milieu à droite : Klee. Daté et titré en bas au centre : 1938 D 3 bedrohliche Zeichen |
Acquisition | Dation, 1992 |
Secteur de collection | Cabinet d'art graphique |
N° d'inventaire | AM 1992-146 |
Analyse
Les dernières années de Paul Klee sont marquées par l’exil, à partir de décembre 1933, à Berne, dans son pays natal (dont il n’obtint la nationalité qu’à titre posthume), par le discrédit jeté sur son œuvre du fait de la politique artistique du régime nazi (en 1937, plus d’une centaine de ses œuvres présentes dans les collections allemandes sont confisquées et dix-sept figurent dans l’exposition « L’art dégénéré »), par la maladie enfin : en 1935 apparaissent les premiers symptômes d’une affection maligne qui le conduit à la paralysie et l’emporte le 29 juin 1940. La souffrance, morale autant que physique, constitue inévitablement l’un des moteurs de sa création de cette période. Les titres mêmes de ces trois œuvres – Souffrance d’aridité , Pathos et Signes menaçants – en disent tout le poids, tandis que l’omniprésence des tracés noirs et épais qui phagocytent l’espace évoquent en creux la mort. Daniel-Henry Kahnweiler, ami et soutien de longue date vers lequel Klee se tourne en 1934 pour qu’il le représente, a pu attribuer la généralisation de ces signes, parfois malhabiles, au handicap causé à l’artiste par sa maladie. Or la production de Klee est à la fin de sa vie d’une abondance exceptionnelle, en particulier son œuvre graphique : si, pour l’année 1936, son catalogue ne compte que 25 numéros, en 1939, pas moins de 1 253 œuvres sont réalisées, majoritairement des dessins. En réalité, les transformations profondes qui se produisent alors sont autant le fruit de la logique propre au développement de sa création que des circonstances tragiques.
Très tôt, Klee a exploré les possibilités plastiques des mots et ce jusqu’à constituer son vocabulaire de formes en un véritable langage. Fin 1930, la schématisation radicale des figures, qui se voient réduites à des silhouettes grossières, quasi géométriques, et à des masques sommaires, n’est qu’une ultime étape dans cette voie : dans Not durch Dürre , aux tracés épais comme produits au doigt, une telle simplification renoue avec le caractère originel et spontané des dessins d’enfants, tandis que Bedrohliche Zeichen manifeste une parenté certaine quoique indirecte avec les idéogrammes chinois, les calligraphies arabes ou encore les hiéroglyphes, dont Klee avait exploité depuis longtemps (dès 1912, lors de ses voyages en Afrique du Nord) les possibilités expressives. Les figures et les objets du monde se font signes plastiques pour celui qui réaffirme ainsi qu’« écrire et dessiner sont identiques en leur fond » (« La philosophie de la création »), ces deux opérations ayant recours à la ligne pour fixer une idée. De ce processus, poussé à l’extrême, résultent des signes qui se donnent comme tels et qui s’avèrent pourtant, en l’absence d’un sens assigné, indéchiffrables.
L’extrême liberté formelle ainsi acquise par Klee infuse également les paysages, qui décrivent des contrées imaginaires nourries de ses expériences personnelles, de ses souvenirs de voyages en Tunisie ou en Égypte : leur résurgence, bien des années plus tard, peut être comprise comme un défi au temps, une échappatoire face à l’inéluctable finitude humaine. Le personnage-pantin de Not durch Dürre est certes allongé, presque immobile donc, gisant comme mort, mais deux personnages de part et d’autre de l’œuvre semblent l’emmener : pour Klee, il n’est pas question d’arrêt mais d’un mouvement qui se poursuit autrement, sous d’autres formes encore inconnues – alors la mort n’est rien de plus qu’une phase dans un développement pensé à l’instar et à l’échelle des cycles naturels. De même, l’ultime évolution plastique de l’artiste n’est pas achèvement mais ouverture : si dans Pathos II , la ligne – celle, expressive, d’une même sève irriguant une figure/arbre – est plus ou moins continue, et semble ainsi préserver la cohésion de l’espace, elle apparaît brisée en une multitude de segments dans Bedrohliche Zeichen , œuvre qui élève paradoxalement la disjonction, les intervalles et les rythmes fragmentés au rang de modes de structuration spatiale. Ce qui au premier abord pourrait sembler une puissance destructrice (exercée par les « signes menaçants ») est transformé par Klee en agent positif à l’origine d’un espace plastique qui s’affirme une fois encore autonome, plan et structuré par la tension entre dessin et couleur, entre formes et fond. À partir du démembrement de la figure et de la destruction de la cohésion de l’espace, nombre de voies s’offrent dès lors à l’exploration de Klee : la composition – la référence à la musique est ici des plus prégnantes –, par l’articulation de formes indépendantes, par-delà leur espacement rendu de la sorte agissant ; et l’écriture, celle de signes polysémiques existant à la croisée du visible et du lisible, qui sont évocateurs sans être pour autant déchiffrables. En cet ultime et décisif retournement qui est une manière de victoire de l’artiste, la tragédie vécue rejoint le mythe orphique, et la mort peut s’entendre comme une phase à part entière de la création.
Guitemie Maldonado
Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008