Non Euclidean Object I

Autre « objet d’affection », Non Euclidean Object I , dont le Musée ne possède que cette réplique tardive (l’original, exposé en 1933 à la galerie Pierre Colle, Paris, puis en 1945 à la Julien Levy Gallery, New York, a disparu), a été conçu au moment même où la relance du mouvement surréaliste s’effectue autour de la problématique de l’« objet » (André Breton, « Crise de l’objet » ; Dalí, « Objets à fonctionnement symbolique » ; Giacometti, « Objets mobiles et muets », etc.). Mais plus qu’à l’activité onirique, dont relèvent la plupart des objets surréalistes, il ressortit à la « physique de la poésie », prônée par Paul Eluard. Il est formé de la « rencontre » de deux « objets trouvés » parfaitement hétérogènes : l’un, un tube de caoutchouc mou, flexible, noué comme une racine (référence à la célèbre sculpture disparue Figure , 1931, de Picasso ?), renvoie au monde quotidien ou au monde naturel ; l’autre, un objet métallique de forme polyédrique constitué d’hexagones pleins et de pentagones ajourés (qui, suivant le théorème, « forment une sphère »), appartient au domaine de la science ; l’un oppose le désordre vivant et sensuel de ses nœuds, l’autre, la structure froide et parfaite de sa géométrie abstraite, leur assemblage étant assuré simplement par une tige métallique qui les traverse. À l’égal des Objets mathématiques de l’Institut Poincaré, découverts en 1931 par Max Ernst, et que photographie précisément Man Ray – magnifiques photographies d’ombres et de lumières qui illustreront l’article de Christian Zervos, « Mathématiques et Art abstrait », dans Cahiers d’art , n o 1-2, 1936 –, l’objet exerce une immédiate séduction, qui tient essentiellement à l’ordre naturel auquel son ordonnance semble soumise plus qu’à sa fonction démonstrative. Il dit surtout le sarcasme de Man Ray face au système euclidien, qu’il dénoncera encore dans un autre assemblage, Target (1933) : « l’équation » des deux éléments contraires de Non Euclidean Object I , de ces deux objets « trouvés / troués » (« anything with holes in it, like humans », dira encore Man Ray), embrochés par la tige phallique, est tournée encore en dérision par ce maître des calembours : « Is Euclid lucid ? Euclide élucide ». À cet égard, associé comme il l’est dans son Autoportrait photographique de 1932 (référence y est-elle faite à la figure de la Mélancolie de Dürer ?), cet objet de « vanité » devient lui aussi un emblème de l’artiste bricoleur-inventeur.

Agnès de la Beaumelle

Source :
Extrait du catalogue Collection art moderne - La collection du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne , sous la direction de Brigitte Leal, Paris, Centre Pompidou, 2007