Pierre Bourdieu / Paul Virilio

En écho, des œuvres de Katia Kameli et Joachim Bandau

Exposition au Musée, niveau 4, salle 34

14 octobre 2024 – 10 mars 2025

Cette exposition propose la rencontre inattendue entre Pierre Bourdieu (1930-2002) et Paul Virilio (1932-2018), deux des plus importants intellectuels français de la seconde moitié du 20^e siècle, à travers leurs pratiques respectives de la photographie. Vers la fin des années 1950, tous deux commencent à constituer des corpus d'images bien distinctes, au service de leurs recherches. Pour Bourdieu, sociologue et ethnologue, l'expérience photographique est essentielle en tant qu'elle forge son travail de terrain. Pour Virilio, urbaniste et philosophe, la photographie lui permet, en archéologue du futur, de décrypter son époque et de mettre en image sa pensée.

Pierre Bourdieu

Considéré comme l'un des sociologues les plus marquants du 20^e siècle, Pierre Bourdieu est moins connu pour son travail photographique.

Entre 1957 et 1961, d'abord soldat français puis jeune professeur en philosophie, il réalise un ensemble considérable de photographies dans une Algérie en pleine guerre d'indépendance et en pleine mutation sociale. Ses prises de vue témoignent du « déracinement » des populations autochtones par la politique coloniale française et de l'intérêt de Bourdieu pour les différentes manières de vivre, entre la tradition et le choc de la modernité. Le regard photographique de l'auteur de Sociologie de l'Algérie (1958) et Travail et travailleurs en Algérie (1963) révèle l'attention qu'il porte aux scènes de rue, aux habitations et aux « habitus » des Kabyles, mais aussi aux camps de regroupement des familles déracinées. Autant de sujets composant une importante production qui s'inscrit dans la tradition de la photographie humaniste et engagée des années 1930 à 1960.

La pratique photographique s'accompagne, comme le souligne Bourdieu, d'une transformation de son regard sur le monde social qui marque durablement son travail scientifique.

Images d’Algérie, 1957-1961

Épreuves gélatino-argentiques / Négatifs numérisés sur écrans

Collection du Mnam-Cci

Le fonds a été acquis par le Cabinet de la photographie du Musée national d'art moderne en 2022. Il était auparavant conservé et étudié par Camera Austria à Graz (Autriche).

Pierre Bourdieu, (Sans titre) de la série "Images d’Algérie", 1957–1961
© Fondation Pierre Bourdieu. Courtesy: Camera Austria, Graz

Pierre Bourdieu, "Djebabra, Chlef, Centre de regroupement" de la série "Images d’Algérie", 1957–1961
© Fondation Pierre Bourdieu. Courtesy: Camera Austria, Graz

Pierre Bourdieu, "La foire d’Alger, Avril 1959" de la série "Images d’Algérie", 1957–1961
© Fondation Pierre Bourdieu. Courtesy: Camera Austria, Graz

Pierre Bourdieu, "Cheraïa, Centre de regroupement" de la série "Images d’Algérie", 1957–1961
© Fondation Pierre Bourdieu. Courtesy: Camera Austria, Graz

Pierre Bourdieu, "Bab El Oued, Alger, Avril 1959" de la série "Images d’Algérie", 1957–1961
© Fondation Pierre Bourdieu. Courtesy: Camera Austria, Graz

Pierre Bourdieu, (Sans titre) de la série "Images d’Algérie", 1957–1961
© Fondation Pierre Bourdieu. Courtesy: Camera Austria, Graz

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Pierre Bourdieu en quelques dates

1930	Naissance à Denguin, Pyrénées-Atlantiques.
1951	Après des études au lycée Louis-Barthou de Pau puis au lycée Louis-le-Grand à Paris, il entre à l'École normale supérieure.
1954	Agrégé de philosophie, il enseigne l'année suivante au lycée de Moulins.
1955-1958	Il est envoyé en Algérie, en pleine guerre, pour son service militaire.
1958-1960	Assistant à la Faculté des Lettres d'Alger. Il mène des enquêtes de terrain notamment en Kabylie.
1960	Assistant à la Sorbonne.
1961	Maître de conférences à l'Université de Lille.
1964	Directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Vl^e section).
1975	Directeur de la revue Actes de la Recherche en Sciences Sociales fondée la même année.
1981	Entre au Collège de France, Chaire de sociologie.
2001	Professeur honoraire au Collège de France.
2002	Décède à Paris.

Repères chronologiques sur la guerre d'Algérie

1830	Début de la conquête française de l'Algérie.
1926	Messali Hadj fonde l'Étoile nord-africaine, première organisation indépendantiste algérienne.
8 mai 1945	Répressions sanglantes par les autorités françaises des émeutes nationalistes algériennes à Sétif, Guelma et Kherrata.
ler novembre 1954	« Toussaint rouge » : le Front de libération nationale (FLN) déclenche l'insurrection armée dans différentes régions d'Algérie.
Avril 1955	Le FLN participe à la conférence de 29 pays africains et asiatiques dits du « tiers-monde » à Bandoeng (Indonésie). La conférence condamne la colonisation et exprime sa solidarité avec l'Algérie en lutte.
Mars 1956	Vote des « pouvoirs spéciaux » (extension des pouvoirs accordés à l'armée française) proposé par le gouvernement de Guy Mollet, qui mobilise le contingent militaire en Algérie.
Janvier 1957	Début de la bataille d'Alger : les parachutistes français détruisent les cellules du FLN installées dans la ville pour mettre fin à la guérilla urbaine et aux attentats du FLN.
Mai 1958	À Alger, une manifestation d'Européens d'Algérie dégénère en émeutes. Elles entraînent la chute de la IV^e République et le retour au pouvoir du général de Gaulle.
Septembre 1959	De Gaulle se prononce pour l'autodétermination de l'Algérie.
Janvier 1960	Semaine des barricades à Alger. Les Européens d'Algérie se dressent contre la politique du général de Gaulle.
Avril 1961	Putsch manqué des généraux français opposés à la politique du général de Gaulle. L'armée française est divisée. Des officiers rejoignent les rangs de l'Organisation armée secrète (OAS), structure clandestine créée en février par des « ultras » de l'Algérie française.
Mars 1962	Accords d'Évian qui entérinent notamment le cessez-le-feu et l'organisation d'un référendum d'autodétermination de l'Algérie. Les violences de l'OAS s'intensifient.
Juillet 1962	Proclamation de l'indépendance de l'Algérie. Exode massif des Européens d'Algérie. Massacres d'Européens (Oran) et de harkis.
Octobre 1999	Le Parlement français requalifie l'expression « opérations effectuées en Afrique du Nord » en « Guerre d'Algérie et combats en Tunisie et au Maroc ».

En écho aux Images d'Algérie de Pierre Bourdieu :

Katia Kameli

Artiste plasticienne, née en 1973 à Clermont-Ferrand (France)

L'Enquête Bourdieu. Le Ricochet des images (2024)

Vidéo, 37 min

Un essai filmique réalisé à partir du fonds photographique de Pierre Bourdieu.

Paul Virilio

Pendant dix ans, de 1958 à 1968, le jeune peintre des Antiformes et maître-verrier Paul Virilio photographie les bunkers sur les plages françaises de l’Atlantique, ces « bornes » militaires abandonnées par l'armée d'occupation allemande. Il choisit ses cadrages, évite les effets, isole un détail, recherche des catégories architecturales révélant la pluralité des formes de la guerre. Ces photographies en noir et blanc scénographient la « Forteresse Europe », parlent d'architecture et d'accélération.

En 1975, le Centre Pompidou, alors en phase de création, présente pour la première fois Bunker Archéologie de Virilio dans une exposition au Musée des Arts Décoratifs à Paris. Parallèlement, l’auteur publie un ouvrage sur le sujet dans lequel les éléments de sa pensée philosophique sont rassemblés : l'espace militaire et la guerre d’information, l'illusion et la vitesse, la lecture méticuleuse du présent et la pensée spéculative. Jusqu’à nos jours, cet ouvrage ne cesse d’inspirer des intellectuels et des artistes dans le monde entier.

Mes deux universités ont été la guerre et l'art. Paul Virilio

Bunker Archéologie, 1958-1968

Épreuves gélatino-argentiques

Collection du Mnam-Cci

L'intégralité du fonds Bunker Archéologie est conservée depuis 2019 au Centre Pompidou. Il contient environ 700 tirages photographiques de différentes générations, des planches contacts et des négatifs. Le Centre Pompidou conserve également quelques 220 dessins et croquis d'architecture, 18 tableaux de la série Antiformes, ainsi que d'autres documents du fonds de l'atelier de Paul Virilio.

Paul Virilio, Sans titre de la série "Bunker Archéologie", 1965-1975
© Sophie Virilio. Photo : Centre Pompidou, Mnam-Cci/Cecilia Laulanne/Dist. GrandPalaisRmn

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Paul Virilio en quelques dates

1932	Naissance à Paris, puis déménagement à Nantes avec ses parents.
1948	École des métiers d'arts de Paris section vitrail, peintre d'affiches de films et de décors de théâtre.
1949-1960	Suit, en auditeur libre, les cours de Vladimir Jankélévitch, de Raymond Aron, de Maurice Merleau-Ponty, mais aussi ceux des physiciens Louis de Broglie et René Thom.
1950	Maître verrier et peintre des Antiformes.
1953	Service militaire au service cartographique des armées, Fribourg (Allemagne).
1955	Création d'un atelier de vitrail avec son épouse et maître verrier Suzanne Gruault, rue Rousselet, Paris 6^e. Naissance de leur fille Sophie.
1956	Appelé pour la guerre d'Algérie, en poste dans les Aurès.
1960	Dirige une galerie de peinture, rue de l'Ancienne Comédie, Paris 6^e.
1963	Fonde le groupe « Architecture Principe », puis publie un premier manifeste pour une architecture oblique.
1968	Professeur à l'École Spéciale d'Architecture de Paris. Il y enseigne 27 ans et en devient directeur en 1974.
1972	Crée avec son ami sociologue Jean Duvignaud la revue Cause Commune que rejoint l'écrivain Georges Perec.
1972-1984	Membre des comités de rédaction des revues Causes Communes et Traverses (CCI Beaubourg).
1973	Fonde la collection L'Espace critique aux éditions Galilée et publie des auteurs comme Georges Perec, Jean Baudrillard, Jean Duvignaud, Michel Onfray, Marc Augé, Ignacio Ramonet, Félix Guattari…
1980	Membre fondateur du Centre interdisciplinaire de recherche de la paix et d'études stratégiques, avec Alain Joxe, à la Maison des Sciences de l'Homme.
1984	Collabore à L'Autre Journal et rejoint Marguerite Duras, Gilles Deleuze, Michel Foucault, Jean-François Lyotard…
1990	Directeur de programme au Collège international de philosophie sous la direction de Jacques Derrida.
1991	Collabore à l'exposition « La Vitesse » à la Fondation Cartier.
1993	Virilio et Chilpéric de Boiscuillé lancent le projet des « balises urbaines ».
1996	Participe à l'exposition « Bloc, le monolithe fracturé », à la Vl^e Mostra de Venise.
1997	Préside le colloque « Image et Politique » aux Rencontres Internationales de la Photographie d'Arles.
2002-2017	Il est commissaire de nombreuses expositions en collaboration avec la Fondation Cartier à Paris, notamment « Ce qui arrive », « Terre Natale. Ailleurs commence ici », « EXIT ».
2018	Paul Virilio décède le 10 septembre.

Résonances de Bunker Archéologie dans l'œuvre de Pierre Bourdieu

1943	Il est enfant quand Nantes est bombardée par les Alliés.
1958-1968	Entreprend une étude phénoménologique sur les bunkers du Mur de l'Atlantique.
1966	Réalisation de l'Église Sainte-Bernadette du Banlay à Nevers, avec Claude Parent, bâtiment sacré en forme de bunker. Publication du numéro 7 de la revue Architecture Principe, dédié à Bunker Archéologie.
1975	Exposition « Bunker Archéologie » au Musée des Arts décoratifs, sous l'égide du CCI Beaubourg. Publication de Bunker Archéologie, Édition CCI, 1975.
1984	Sortie de Guerre et Cinéma, Logistique de la perception, Cahiers du Cinéma/Édition de l'Étoile.
1990-1991	Chroniqueur de la guerre du Golfe. Écrit pour de nombreux journaux et publications, en France et à l'étranger.
1991	Pour la deuxième édition de Bunker Archéologie, il rédige une postface axée sur les nouvelles technologies d'armement utilisées pendant la guerre du Golfe.
2018	Participe avec Bunker Archéologie à l'exposition « Remembering Landscape » à Siegen (Allemagne)