Les Lignes de temps

En 2007, Les Cinémas du Centre Pompidou présentent la rétrospective intégrale des films de Victor Erice et d'Abbas Kiarostami ainsi qu'une exposition « Victor Erice/Abbas Kiarostami - Correspondances ». L'Institut de recherche et d'innovation (IRI) récemment créé au sein du Département du Développement culturel (DDC) a saisi cette occasion pour mettre à l'épreuve les premiers dispositifs d'adresse au public qu'il est dans sa mission de concevoir et concrétiser. Une base de données, un site d'écriture et d'annotation collaborative seront ouverts en décembre 2006 pour permettre à tous ceux qui le souhaitent de s'immerger plus encore dans l'univers des deux réalisateurs.

Parmi ces outils, le logiciel lignes de temps qui a bien sûr vocation à s'appliquer à tous types d'oeuvres et autour duquel nous souhaitons initier et développer la réflexion et le débat publics.

Les lignes de temps sont des outils d'annotation et d'analyse des films qui mettent à profit les possibilités offertes par le support numérique. Inspirées par les time lines ordinairement utilisées sur les bancs de montage numérique, elles offrent une représentation graphique du film, qui met à jour d'emblée, et in extenso, son découpage. Les lignes de temps offrent donc un accès inédit au film en substituant, pour les besoins de l'analyse, une « cartographie » à la logique du défilement à laquelle est confrontée le spectateur. Ainsi, en sélectionnant un segment d'une ligne de temps, l'utilisateur a-t-il accès directement au plan ou à la séquence correspondante dans le film, séquence qui peut être décrite et analysée par des commentaires textuels, audio, vidéo, des images, des liens Internet.

A ce premier critère permettant de parcourir le film plan à plan, peuvent s'ajouter d'autres paramètres à partir desquels il est possible de construire d'autres lignes de temps et d'orienter d'autres explorations, en fonction des

échelles de plan, des mouvements de caméra, des entrées et sorties de champ et potentiellement de toute forme objectivable. Autant de manière de multiplier les approches, mais plus encore de visualiser, par comparaison et combinaison des critères de pertinence, des effets de sens, d'actualiser, par exemple, des récurrences et des symétries.

Des historiens, des critiques, des théoriciens ont accepté de s'emparer de ces outils pour vérifier des hypothèses qu'ils avaient formulées, ou en explorer de nouvelles et permettre à travers ce travail, l'expertise, la critique, l'enrichissement, le détournement de ces dispositifs. Cette rencontre a lieu alors que le travail de développement et d'expérimentation de ce logiciel se poursuit ; l'objectif en effet est bien d'associer une collectivité plus large aux interrogations et aux désirs des équipes qui participent à la mise au point de cet outil.

Nul ici n'est mû par l'envie puérile de percer tous les secrets de la création mais bien plutôt de les approcher pour en reconnaître le mystère. Il ne s'agit pas de « mettre à plat » mais au contraire d'accéder à de nouvelles profondeurs, de construire de nouveaux modes de relation au film. Le temps de l'analyse, celui d'une maîtrise aussi fugace qu'illusoire, ne se substitue pas au temps du spectateur, heureusement débordé par une oeuvre qui le submerge.

Ces enrichissements de la pensée critique ont pour enjeu l'accès à de nouveaux motifs d'étonnement et la floraison de nouveaux débats. Ceux-ci n'ont pas pour vocation de rester confinés à des cénacles mais d'être appropriés par le public, potentiellement tout le public, qui accède ainsi au statut d'amateur, c'est-à-dire ici de cinéphile.