La Région centrale (1970)

Pendant plus de trois heures, une caméra Arriflex 16 mm montée sur une machine (nommée CAM, « Camera Activating Machine ») conçue spécialement pour le tournage par l’ingénieur Pierre Abbeloos, filme une zone désertique à 650 kilomètres au nord de Québec. Dans ce film de paysage grandiloquent, qui souhaite se mesurer, selon Snow, avec la « grande peinture de Cézanne, Poussin, Corot, Monet, Matisse et, au Canada, du Groupe des Sept », la caméra balaie à 360 degrés la toundra canadienne, en suivant une série de mouvements programmés, selon une partition qui se retrouve également soumise aux aléas météorologiques du site.

La Région centrale restitue la vision d’un œil non-humain, qui n’est pas sans rappeler les technologies de surveillance et défense militaires qui lui sont non seulement contemporaines – le film est réalisé en pleine guerre froide – mais également géographiquement proches (la Canadian Forces Station de Moisie est située, avec ces radars, à une cinquantaine de kilomètres du lieu du tournage). Le résultat est vertigineux : La Région centrale est, comme l’écrit Stéfani de Loppinot, « LE film de la perte des repères, aucun sens de gravité ne lui est attaché, il est une expérience en apesanteur, hors normes ». Rarement présentée, en raison de sa monumentalité, cette épopée de science-fiction matérialiste et visionnaire demeure encore aujourd’hui une expérience unique et déroutante.