Introduction
Naissance de l'art abstrait
L’art abstrait, une invention du 20e siècle
Au cours de la deuxième décennie du 20e siècle, un tournant radical et déterminant s’opère en peinture, l’invention de l’abstraction.
Certes, depuis la nuit des temps, des formes non figuratives ont été utilisées au sein de programmes décoratifs, par exemple les Grecques ornant les terres cuites de l’Antiquité, les arabesques des ferronneries baroques ou les volutes de l’Art Nouveau. Mais ces motifs étaient subordonnés à des finalités extérieures, comme l’embellissement d’un lieu ou d’un objet.
La démarche qui caractérise les maîtres de l’abstraction du début du 20e siècle consiste à proposer, purement et simplement, une « image abstraite ». L’oxymore que constitue cette expression, une image étant traditionnellement définie comme une réplique de la réalité, indique la nouveauté de l’entreprise : les peintures abstraites sont des images autonomes qui ne renvoient à rien d’autre qu’à elles-mêmes. Dans ce sens, elles s’apparentent aux icônes de la religion orthodoxe qui manifestent la présence d’un contenu plutôt qu’elles ne le représentent, mais, à la différence de ces images religieuses, les peintures abstraites rompent avec le monde des apparences. Elles révèlent l’existence de réalités jusqu’alors invisibles et inconnues, que chaque artiste détermine à sa façon, selon ses propres convictions, son parcours et sa culture, de l’art populaire aux théories les plus spéculatives. Chacun des huit pionniers de l’abstraction aboutit ainsi à sa propre formulation de l’abstraction, indépendamment des autres – Hilma af Klint (1862-1944), Vassily Kandinsky (1871-1944), Frantisěk Kupka (1871-1957), Piet Mondrian (1872-1944), Kasimir Malévitch (1879-1935), Sonia Delaunay (1885-1979), Olga Rozanova (1886-1918) et Sophie Taeuber-Arp (1889-1943). Les artistes femmes, souvent reléguées aux arts appliqués, sont parvenues à l’abstraction par des voies parallèles et tout aussi expérimentales.
Ces artistes ont tous et toutes franchi le seuil de l’abstraction à peu près au même moment, entre 1911 et 1917, simultanéité qui peut s’expliquer par des préoccupations et un contexte communs :
- un intérêt plus ou moins marqué pour la culture ésotérique, très en vogue depuis la fin du 19e siècle ;
- le goût et/ou la pratique de la musique, le moins imitatif de tous les arts, qui les ont conduits vers une recherche de la synthèse entre tous les arts ;
- le bouleversement scientifique produit par l’apparition de la physique quantique et de la théorie de la relativité qui remettait en question la notion de réalité.
Comme le remarquait Paul Valéry à cette époque, « Ni la matière, ni l’espace, ni le temps ne sont depuis vingt ans ce qu’ils étaient depuis toujours ». Dans ce contexte culturel et scientifique du début du 20e siècle, la réalité est moins ce que l’on perçoit à l’aide des cinq sens qu’une entité que l’on approche par des expériences de pensée. L’art abstrait apparaît alors comme nouvelle forme d’art en adéquation avec cette tout autre perception du monde.