Le Centre Pompidou &... le studio 5.5
Ils viennent de concevoir le nouvel espace dédié à la librairie des expositions, au niveau 6 du Musée national d'art moderne. Leur idée ? Créer une boutique imaginée comme le Centre Pompidou, où les fonctions dessinent le projet : mobiliers mobiles et modulables, estampillés aux quatre couleurs du bâtiment, et pensés comme une relecture des chariots de transport d’œuvres d’art. Sur proposition de la Rmn-Grand Palais, le Centre Pompidou a notamment retenu ce projet pour son engagement éco-responsable – le caractère modulaire et standardisé du mobilier permettant d'optimiser les moyens de fabrication, de diminuer l'impact du transport et d'éviter les chutes de matière première. Initié en 2003 par Jean-Sébastien Blanc, Vincent Baranger, Anthony Lebossé et Claire Renard, quatre jeunes designeurs fraîchement diplômés de l’École nationale supérieure des arts appliqués, le studio 5•5 réunit un collectif de créateurs qui se définissent tantôt comme des trublions du design, tantôt comme des bricoleurs politiques. Avant de rejoindre les coulisses du Centre Pompidou, en apportant « leur pierre à l’édifice » avec ce projet de librairie aux allures de ready-made, le studio avait intégré sa collection en 2008 avec trois pièces : une Chaise soignée avec béquille, un Feuilleté de livres de la collection « Cuisine d’objet », et une série de clefs USB. Trois « œuvres » fondatrices et représentatives de la vision de ce collectif, qui cherche à faire du design un outil de création pour sublimer et égayer de bon sens le quotidien. Rencontre avec trois de ses membres, Mathieu Bonnard et Kevin Levi, designeurs ayant récemment rejoint l'aventure, et Anthony Lebossé, co-fondateur, qui nous racontent comment le Centre Pompidou colle à la peau et aux valeurs du studio.
« Le Centre Pompidou, c’est un lieu que nous fréquentons depuis toujours et qui nous a construits. En tant qu’étudiant d’abord, on y venait pour sa librairie, où l’on trouvait des livres sur la peinture, l’architecture, le design et toute sorte de sujets. On y est passé pour écrire nos mémoires de recherche à la Bpi (Bibliothèque publique d'information), à côté d’étudiants qui cherchaient un lieu calme pour travailler, d’autres qui venaient comme nous pour consulter des ressources, et des personnes venues simplement trouver un endroit où se mettre au chaud pour feuilleter le journal.
Je me souviens d’expositions auxquelles ma mère m’avait emmené quand j’étais enfant, sans bien savoir ce que c’était. Une fois, je m’étais retrouvé face à une œuvre, un morceau de viande tournant autour d’une barre… Après coup, je me dis que ça a dû participer à mon ouverture d’esprit !
Kevin Levi, designeur produit et espace au studio 5•5
Nous y venions ensuite pour ses expositions et son incroyable collection. Curieusement, ce ne sont pas tant les expositions ou les œuvres de design qui m’ont le plus marqué. Même si, évidemment, les expos comme celles consacrées à Charlotte Perriand ou à l’architecte Tadao Ando il y a quelques années ont eu une réelle importance pour nous. Tout le travail de Marcel Duchamp est par exemple incroyablement inspirant. Notre projet de librairie a d’ailleurs été conçu comme un « ready-made », à partir d’objets du quotidien. Nous voulions montrer qu’en allant au Centre Pompidou, on venait voir de l’art mais aussi que tout, autour, pouvait être de l’art – donner à voir l’expression artistique sous toutes ses formes. Pour élaborer le projet, nous avons fréquenté le Centre pendant sa fermeture. À cette occasion, nous avons vu « l’envers du décor », rencontré des personnes qui travaillaient ici, les pompiers, les peintres, etc. En échangeant avec celui qui repeignait les plinthes sous les œuvres kraftées de Matisse, j’ai fini par lui dire : “Finalement, votre travail est plus important que le sien !” Évidemment, c’était pour rire, mais tout cela participe de notre vision. D’ailleurs, la communication du Centre Pompidou dans les espaces du Musée, avec ces pictogrammes visuels indiquant les sanitaires à partir du fameux Urinoir de Duchamp, est super, très conforme à cet esprit duchampien qui marque notre travail !
J’ai aussi des souvenirs d’expositions, comme celle sur Daniel Buren, artiste que je connaissais finalement assez peu. Je crois que c’est, de toute ma vie, l’exposition dans laquelle je suis resté le plus longtemps, tant elle était conçue comme une balade, pleine de surprises ! Je suis aussi venu flâner dans la collection à de nombreuses reprises et j’ai pourtant l’impression de découvrir de nouvelles œuvres à chaque fois ! C’est un musée dans lequel j’emmène systématiquement ma famille quand elle vient à Paris. Je leur dis : “Allons visiter le Centre Pompidou, je sais que c’est la troisième fois, mais ça aura forcément changé !”
Pour nous, le Centre Pompidou c’est un lieu ressource, une vraie place culturelle.
Mathieu Bonnard, designeur espace au studio 5•5
En tant que designers, le Centre Pompidou, c’est aussi pour nous un bâtiment particulièrement inspirant. Il sacralise des choix politiques, des prises de position sans qui de tels lieux ne pourraient pas exister, aussi bien sur le fond que sur leur forme. Ce bâtiment, c’est un encouragement à l’audace ! C’est notamment grâce à Jean Prouvé (président du jury pour le concours d’architecture du Centre, ndlr) que ce projet élaboré par deux jeunes architectes inconnus à l’époque a pu voir le jour, en débordant du cadre, en reconsidérant les règles d’urbanisme et en s’érigeant contre la critique populaire. Le Centre Pompidou, au même titre que la tour Eiffel par exemple, fait partie de ces lieux qui font sur le coup scandale mais qui par la suite deviennent « monument ». Il faut toujours du temps et du recul pour réussir à appréhender la valeur d’une réalisation…
Ces réflexions nourrissent notre pratique : au studio 5•5, nous questionnons sans cesse les raisons pour lesquelles nous réalisons un nouvel objet, la valeur de ce que l’on produit. Car nous ne sommes pas des artistes, mais des créateurs d’objets du quotidien, des créateurs d’espaces. Notre pratique est politique : elle est toujours en réaction, au sens où l’on questionne notre société de consommation, tout en y contribuant de l’intérieur pour essayer de l’améliorer ! Elle évolue sans cesse, est toujours en mouvement ; comme le Centre Pompidou, qui est tout sauf une institution figée sur la représentation d’un artiste ou sur une époque. C’est un lieu d’actualité dans lequel il y a des débats, des conférences, un lieu où les œuvres, même, questionnent. Là par exemple, nous sortons tout juste de “Elles font l’abstraction” : cette exposition est un éditorial politique, un vrai manifeste !
Notre pratique est politique : elle est toujours en réaction, au sens où l’on questionne notre société de consommation, tout en y contribuant de l’intérieur pour essayer de l’améliorer ! Elle évolue sans cesse, comme le Centre Pompidou, qui est tout sauf une institution figée, mais plutôt un lieu d’actualité.
Anthony Lebossé, co-fondateur du studio 5•5
Ce qui résonne enfin particulièrement pour nous, c’est justement que le Centre Pompidou n’est pas un monument, mais plutôt un lieu de vie, qui a sûrement autant d’importance que peut l’avoir un marché ou un stade de foot à l’échelle d’une ville, d’un quartier. C’est un endroit plein de vie, où les gens se rencontrent, se donnent rendez-vous. Il suffit d’observer ce qu’il se passe sur sa Piazza : pendant qu’un danseur fait un spectacle de breakdance, des gens font la queue pour le Musée, et des groupes de jeunes sont assis, simplement pour discuter ! C’est important de considérer ce qui se passe autour. Et c’est ça aussi le Centre Pompidou, dans sa conception même : un lieu de passage. » ◼
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Portraits de Mathieu Bonnard, Anthony Lebossé et Kevin Levi, membres du collectif 5•5.
Photo © studio 5•5