Focus sur... « New Gate » de Chen Wei
Chen Wei est né en 1980 dans la province de Zhejiang. Cette région rurale et pauvre est rapidement devenue « l’épine dorsale » de la Chine, en raison de son rôle moteur dans l’économie. Les studios de Hengdian sont un de ses emblèmes, formant à eux seuls une ville qui s'étend à perte de vue. Tous les jours de l’année, les tournages s’y succèdent, leurs temporalités s’enchâssant dans d’immenses espaces où se côtoient les siècles, les répliques grandeur nature de palais impériaux, les hôtels de luxe et les attractions contre-façonnant diverses catastrophes naturelles. Bien que l’artiste ne mentionne pas explicitement ces décors érigés dans les années 1990 comme un point de départ à la création de l’œuvre New Gate [Nouvelle porte], elle pourrait être un fragment échappé de l’enceinte de cette ville où le réel se dédouble.
New Gate (2020) s’inscrit dans le chapitre « New Life » [Nouvelle vie], le dernier en date pour le projet artistique « New City » [Nouvelle ville], commencé en 2013. À travers l’évocation de situations et d’objets familiers aux habitants des mégapoles, chaque œuvre de cette série pourrait trouver en littérature son équivalent dans le genre de la nouvelle. Nocturnes, scènes d’intérieur ou visions urbaines racontent par bribes les affects qui traversent la Chine contemporaine : l’espoir collectif de réussite, les désillusions de la consommation et le vertige occasionné par l’effacement rapide du passé.
Une singulière nostalgie se dégage de ces espaces que l’artiste reconstitue en studio, tels des clubs aujourd’hui disparus, ou des quartiers en proie à d’incessantes transformations.
Une singulière nostalgie se dégage de ces espaces que l’artiste reconstitue en studio, tels des clubs aujourd’hui disparus, ou des quartiers en proie à d’incessantes transformations. Déclinant sans cesse de nouvelles facettes illusoires, ces lieux appartiennent aussi bien à la fiction qu’aux mémoires personnelles de Chen, qui a émergé sur la scène musicale underground de Shanghai dans les années 2000. La nostalgie et l’illusion n’alimentent pas pour autant un refus de la présente réalité, mais s’intègrent au récit de la vie contemporaine, rythmée par la décrépitude presque immédiate du nouveau.
La récente exposition personnelle de l’artiste au Centre Pompidou × West Bund Museum de Shanghai s’intitulait ainsi « Make Me Illusory » [Rends-moi illusoire], en référence et en contrepoint à la prière nocturne du jeune garçon dans le film de Steven Spielberg A.I. intelligence artificielle (2001, ndlr), qui demandait quant à lui à devenir réel.
Cette nouvelle porte illusoire, suggérée par le titre de l’œuvre New Gate, existe peut-être ailleurs ? L’ombre d’un arbre s’étend sur un perron d’immeuble baigné dans une lumière chaude, dont la volée de marches monte vers un mur de briques. Ce petit théâtre évoque aussi bien une métaphore possible qu’une réalité prosaïque : les nouveaux chantiers se succédant avec efficacité, ils occasionnent par leur rythme effréné des absurdités qui ne seront pas rectifiées.
Ce coin de rue pourrait être celui d’un quartier de Shanghai, laissée vide pendant la pandémie de Covid-19, aussi bien qu’un passage à travers les studios Hengdian, désertés pendant la nuit.
Ce coin de rue pourrait être celui d’un quartier de Shanghai, laissée vide pendant la pandémie de Covid-19, aussi bien qu’un passage à travers les studios Hengdian, désertés pendant la nuit. Le travail élaboré de la lumière rend la nuit similaire au jour. La « Nouvelle porte » promettrait alors une transition vers la vie nouvelle, ou peut-être, plus simplement, une conversation entre deux inconnus dialoguant jusqu’au petit matin. Elle semble résonner dans ce décor silencieux bientôt occupé par d’autres. Leurs aspirations et leurs erreurs commises à la hâte, dans leur empressement à rejoindre le futur, réintègrent ainsi ce bref épisode au long récit d’une éducation sentimentale, que la ville permet et détruit simultanément. ◼