De « Notre-Dame-des-Tuyaux » au Centre Pompidou, du rififi à Beaubourg !
Trente ans de Beaubourg ne font pas trente années de caricatures. Focalisés par habitude sur l’actualité, les dessinateurs de presse collent à l’événement : leurs traits plus ou moins acides couvrent l’inauguration et raillent la nouveauté de l’architecture King Kong ou pompidolienne. S’étonnera-t-on que la caricature triomphe au premier trimestre 1977, avec quelques extensions pendant un an ? Durant cette période, les graphistes s’en donnent à cœur joie. Beaubourg, sous leurs plumes, prend des formes plus ou moins molles.
Le Centre Pompidou est présenté tour à tour comme :
– un bâtiment ultraturbulescent, parcouru d’excroissances, de tuyères, de collecteurs, d’escalators en serpentins : des tuyaux arborescents irradient de son toit ;
– un vaste chantier de construction, dont on a enlevé les échafaudages, mais, ajoutent- ils, « sans que cela se voie » ;
– un « mal-édifice », fonctionnant comme une fête foraine avec toutes sortes d’attractions populaires, dont les tire-pipes sur l’art ;
– une mégacage tantôt remplie de singes, tantôt regardée par des « ploucs » qui restent à l’extérieur, tant il est clair que « le musée Pompidou, c’est pas de la culture pour les ploucs » ;
– un grand magasin où l’art est galvaudé.
Fleurit ainsi la métaphore de la grande surface charriant des chalands qui gravissent en famille les escalators menant aux six étages de l’art en vrac et en solde. Des diables, nouvelles gargouilles grimaçantes, sortent des tubulures et visent de leurs armes les églises voisines. Notre-Dame se voit escamotée, détrônée par le Centre qui s’y substitue, assurant la victoire de « Notre-Dame-des-Tuyaux », face aux temples reconnus de l’art et de la religion.
Dès lors, le carnaval remplace le carême, la foire devient permanente et l’art à bon marché prend la place de l’art. Le public se voit tout autant croqué et chargé que le bâtiment. Le voici flâneur, passant, badaud armé de lourds appareils photos, mais faisant preuve d’une candeur totale. Incapable de voir ce qu’on lui montre. Ne concevant que l’art qu’il mérite et recevant l’architecture à laquelle son incompétence lui donne droit. À la représentation d’un art dégradé correspond le trait de ce touriste ridiculisé, allant jusqu’à préférer les locaux techniques aux espaces d’exposition et jusqu’à confondre les œuvres exposées avec les préposés aux renseignements, voire les tubulures de circulation avec des cuvettes de WC. Contenu et contenant sont allégrement mêlés, tout comme écrin (mais la métaphore conviendra mieux, plusieurs années plus tard, au Guggenheim de Bilbao) et bijoux (de pacotille).
Le public se voit tout autant croqué et chargé que le bâtiment. Le voici flâneur, passant, badaud armé de lourds appareils photos, mais faisant preuve d’une candeur totale. Incapable de voir ce qu’on lui montre.
Bâtiment non stylisé, art non art, visiteur niais ; le caricaturiste ne fait pas dans la dentelle. Il rejoint l’imaginaire des opposants. Il participe au combat. Il se fait l’allié des détracteurs. Il s’émeut du style de plate-forme pétrolière et de raffinerie, choisi par Renzo Piano et Richard Rogers. Il propage les stéréotypes et les rumeurs. Il appuie, plus ou moins lourdement, la thèse de la dégénérescence. Pendant un an, dans le dessin de presse, le Centre « Mochebourg » l’emporte largement, charriant avec lui l'art moche et le visiteur moche.
Mais, la riposte, superbe, héroïque, ne tarde pas. La revanche vient du photomontage : Jean-Paul Pigeat du Centre de création industrielle a l’idée de faire réaliser un merveilleux pastiche de la bataille de Midway, dans lequel le Centre porte-avion, flottant sur l’océan, entouré de navires de guerre, est pilonné par un essaim d’avions. Ce n’est plus Beaubourg ou le Pompidole qui sont tournés en caricature ; ce sont les assaillants eux-mêmes qui se voient charriés et pastichés ; les croqueurs sont croqués. Depuis lors, silence radio sur Beaubourg ; l’imagination des graphistes de la charge et du croquis a fini par se tarir. Le « Manitomoche » ne répond plus. Dur métier que celui de dessinateur de presse : les armes dérisoires de papier journal sont destinées à disparaître, sauf quand la polémique vient à les dépasser.
Nouvel avatar en 2006 : Beaubourg rentre dans le rang des coups de cœur romantiques de Cabu, qui dessine le décalage des rites urbains des Français et des Françaises face au patrimoine immobilier parisien. S’agirait-il d’une trêve des confiseurs dans la polémique ? Si le dessin paraît enjoué, quelques phrases cinglent à nouveau : les « viscères » de Paris ont remplacé le ventre de Paris (Beaubourg versus les Halles) et le Centre est devenu un « percolateur » que les plombiers polonais chargés de le réparer ont laissé ouvert en repartant chez eux. Nouveau ver dans le fruit, présage de nouvelles luttes, au moment où le Centre Pompidou se mondialise ? ◼
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© Centre Pompidou