Daniel Cordier, une histoire dans l'art
On ne saurait donner à la galerie Daniel Cordier sa juste place sans évoquer l’engagement de l’homme résistant, puis, une fois revenu à la vie civile, ses combats à l’inspiration libertaire dans l’aventure de l’art des années 1950-1960, et particulièrement pour les artistes singuliers qu’il n’aura de cesse de présenter dans sa galerie.
Né à Bordeaux en 1920, Daniel Cordier est, dans sa prime jeunesse, monarchiste, antisémite et milite pour l’Action française. Mais, dès le début de la Seconde Guerre mondiale, il est l’un des premiers à rejoindre le général de Gaulle pour s’engager dans la Résistance. En 1943, il devient secrétaire de Jean Moulin, grand amateur d’art qui l’initie peu à peu à l’art moderne, l’ouverture d’une galerie à Nice servant de couverture à leurs activités clandestines. Cette rencontre fondamentale est à l’origine de la passion de Daniel Cordier pour l’art.
La constitution d'une collection, ainsi que le goût du risque et du défi l'incitent à devenir « marchand ».
Dès la fin de la guerre, il visite les plus grands musées européens, et devient, selon ses propres termes, « collectionneur et peintre ». Mais après plusieurs années d’études à la Grande Chaumière, il abandonne l’idée d’être peintre. En revanche, la constitution d’une collection – un premier achat en 1946, une toile de Jean Dewasne, puis des œuvres de Hans Hartung, Henri Michaux, Nicolas de Staël, Bernard Réquichot... –, ainsi que le goût du risque et du défi l’incitent à devenir « marchand ».
En novembre 1956, Daniel Cordier ouvre sa première galerie, l’une des plus originales à l’époque à Paris, rue de Duras dans le 8e arrodissement de Paris. Sa proximité avec Henri Michaux et Jean Dubuffet, rencontré en 1952, dont il est le marchand depuis l’ouverture de la galerie, aiguise son regard artistique et lui fait mettre à l’honneur des figures singulières comme Réquichot, Oyvind Falhström, Dado, Alfonso Ossorio, Bernard Schultze, Horst Egon Kalinowski, Fred Deux, Hans Bellmer, Eugène Gabritschevsky, Manolo Millares...
Daniel Cordier inaugure une nouvelle galerie à Francfort (1958-1962) avec « Jean Dubuffet, Célébration du sol », exposition qu’il reprend à Paris en mai 1959 pour l’ouverture de sa nouvelle galerie, plus vaste, 8 rue de Miromesnil, toujours dans le même quartier. En décembre 1959, il donne carte blanche à André Breton pour la dernière grande exposition surréaliste parisienne, « Éros ».
En 1960, marqué par un voyage à New York en 1957 où il découvre l’art américain, il est le premier à exposer en France Louise Nevelson puis Robert Rauschenberg. Confirmant son intérêt pour les États-Unis, il ouvre une autre galerie à New York, en association avec Michel Warren, marchand de tableaux, puis en 1962, avec Arne Ekström, un diplomate, jusqu’en 1965.
En juin 1964, Daniel Cordier organise dans sa galerie parisienne une dernière exposition, « Huit ans d’agitation », où sont réunis tous les artistes qu’il a découverts et soutenus. Il explique dans sa lettre « P.p.c » (Pour prendre congé) largement diffusée dans le monde artistique, les raisons de la fermeture de la galerie, principalement la crise du marché de l’art et l’engouement nouveau pour l’art américain.
Redevenu « amateur », Cordier participe à de grandes expositions, mais, surtout, élabore le projet de faire entrer au Musée national d’art moderne des artistes jusque-là négligés, ignorés par l’institution, ceux-là même qu’il exposait et que Dubuffet nommait les « Irréguliers de l’art ». En 1973, il fait sa première donation avec un ensemble important d’œuvres de Réquichot. D’autres dons – notamment en 1976 avec Michaux – et donations – celle de 1989 – suivront jusqu’à sa plus récente en 2015.
Sans retracer une histoire de l’art depuis les années 1950, les « Donations Daniel Cordier » forment au sein du Musée une collection unique et singulière : un regard sur la création et l’expression de « l’amour de l’art » et d’un « amateur » qui fut, entre 1956 et 1964, un des marchands les plus actifs de l’après-guerre. ◼
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Daniel Cordier dans sa galerie, rue de Miromesnil, Paris 8e, avec à gauche un Combine Painting de Robert Rauschenberg et à droite une sculpture de Louise Nevelson.
Photographie © Le Figaro littéraire, juin 1964