Daniel Cordier, un exemple d'humanité
En 1973, bien avant l’ouverture du Centre Pompidou (inauguré en 1977), Daniel Cordier siège à la commission d’achats du Musée national d’art moderne. Dès lors naît l’idée d’une donation, constituée par sa collection initiale et par des achats successifs explicitement destinés au Musée. Elle s’étale sur plus de seize ans, jusqu’à son officialisation en 1989 : plus de cinq cents œuvres de soixante-six artistes rejoignent ainsi la collection du Centre Pompidou. On y trouve la plupart des artistes défendus dans la galerie parisienne de Daniel Cordier, et d’autres, découverts au fil du temps.
Daniel Cordier était un exemple d’humanité exceptionnelle, une personne fascinante et indivisible qui rassemblait engagement, générosité, originalité, humour avec une approche de la création inimitable.
Serge Lasvignes, président du Centre Pompidou.
S’agissant des œuvres d’artistes majeurs – dont le Musée détient déjà des ensembles parfois conséquents (Jean Dubuffet, César, Simon Hantaï ou Matta) – elles complètent le fonds existant en illustrant certaines périodes encore mal représentées. Pour les artistes moins connus (Henri Michaux, Bernard Réquichot, Dado, Fahlström, Millares, Gabritschevsky), des ensembles d’œuvres révèlent leur travail au public. Dans sa galerie parisienne, Daniel Cordier fut le premier à exposer Nevelson et Rauschenberg, puis à acquérir pour lui-même des œuvres de Robert Morris, Charles Simonds, Richard Stankiewicz. Au cours de ses visites dans les galeries parisiennes, il a acquis des œuvres de jeunes artistes des années 1970, notamment Viallat, Rouan, Meurice, Raynaud, Le Gac et Titus Carmel. Cette donation fit l’objet d’une exposition au Centre Pompidou, « Donation Daniel Cordier, le regard d’un amateur », du 14 novembre 1989 au 21 janvier 1990. En 1999, la donation est en grande partie mise en dépôt et présentée très largement aux Abattoirs à Toulouse.
Dans sa demeure de Juan-les-Pins, Daniel Cordier continue de réunir, parallèlement à sa collection d’œuvres d’art contemporain (Réquichot, Michaux, Hantaï, Robert Morris, Raynaud, Dubuffet et bien d’autres), toutes sortes d’objets hétéroclites, comme des pierres de rêves chinoises, des racines, des ossements ou des fétiches et totems, vertèbres et côtes de baleines, des tabourets éthiopiens, des faucilles à riz du Cambodge, des monnaies de mariage venant du Zaïre… Cet ensemble souvent sériel et profondément original révèle l’intérêt formel de Daniel Cordier pour les objets plus quotidiens de ces cultures lointaines, dont les formes élémentaires représentaient la structure originelle de son goût.
Plus de contexte ni de périodisation mais un joyeux mélange où se rencontrent et dialoguent l’Asie, l’Amérique, l’Océanie et l’Afrique. Ces objets, détournés de toute fonction utilitaire, symbolique ou rituelle, et métamorphosés en « ready-made anonymes », s’organisent par analogies et par contrastes. Ils évoquent d’autres formes artistiques et rappellent des liens tissés par les artistes du 20e siècle avec les arts premiers.
Daniel Cordier était à plus d’un titre, un héros. Il ne m’appartient pas de rappeler ici ses faits de résistance mais de souligner que son action au service des artistes qu’il a défendus inlassablement et son immense générosité à l’égard du Musée national d’art moderne, au fil de plusieurs donations considérables, ont en quelque sorte été les deux faces inégalables de l’homme d’engagements qu’il n’a cessé d’être.
Bernard Blistène, directeur du Musée national d'art moderne
Tel fut le sens de cette deuxième donation en 2010 : en proposant un ensemble de 808 numéros, constitué principalement d’objets issus de sociétés non occidentales provenant de tous les continents non européens, d’objets courants « de curiosité », et d’œuvres d’art contemporain, Daniel Cordier offrait au Centre Pompidou sa « collection » : tel un anti-musée évoquant le mur de l’atelier d’André Breton, la donation joue de ces rapprochements entre objets et œuvres d’art, ainsi que l’ont démontré largement le Centre Pompidou et Les Abattoirs de Toulouse dans la double exposition « Donations Daniel Cordier, les désordres du plaisir », présentée simultanément à Paris et à Toulouse de décembre 2008 à avril 2009. Les deux institutions se sont engagées à présenter les 1356 œuvres qui constituent la totalité des dons et donations successives de Daniel Cordier.
En juin 2015, Daniel Cordier consent une nouvelle donation au Centre Pompidou, réunissant cent cinquante objets issus de sociétés non occidentales, et treize œuvres majeures de Paul Klee, Dado, Georgik, Bernard Réquichot et Louise Nevelson. Pour cette nouvelle donation, comme pour les précédentes, les objets ont été réunis selon une approche qui ne relève ni de l’ethnographie, ni de la recherche du chef d’œuvre, mais plutôt d’une sensibilité propre, marquée par un penchant pour l’organique et la matière.
Sans Daniel Cordier, sans son regard ouvert à toutes les formes de la création, sans la singularité de sa vision qui l’a conduit à rassembler les œuvres de ses contemporains, aussi bien que celles qu’il glanait sans cesse au nom d’une approche puissamment originale de la création, le Centre Pompidou n’aurait à l’évidence pas la richesse et la diversité qu’il a contribué à lui apporter. Puisse cette vie exemplaire à plus d’un titre être méditée ! Puisse son irremplaçable philanthropie servir pour longtemps d’exemple !
Bernard Blistène, directeur du Musée national d'art moderne
De plus, pour la première fois, des archives viennent compléter et enrichir les donations successives : d’une part, les archives de la galerie Cordier constituant un ensemble complet sur les activités de la galerie (1956-1964) ; d’autre part, les archives plus personnelles retraçant l’activité artistique de Daniel Cordier de la fin des années 1940 au milieu des années 1990. Quelque cinquante boîtes, contenant de la correspondance, des dossiers d’œuvres et d’expositions, des press-book et des photographies, constituent un fonds d’une grande richesse documentaire, illustrant les choix du collectionneur. ◼
Otros artículos para leer
Danier Cordier à New York en 1960
Photo © Nikki Ekstrom