Cinéma / Vidéo
Chantal Akerman
Rétrospective intégrale
28 avril - 7 juin 2004
L'événement est terminé
CHANTAL AKERMAN
RETROSPECTIVE INTEGRALE / EXPOSITION - INSTALLATIONS
Cinéaste et artiste belge, Chantal Akerman s'est affirmée très tôt comme une personnalité forte et indépendante dans le cinéma européen.
Dans la lignée de l'avant-garde new-yorkaise, elle fait dès ses premiers courts et longs métrages, l'expérience d'un cinéma à l'affût de la vérité que seule une caméra explorant l'espace et enregistrant des durées réelles peut révéler.
Tenant à la fois de la fiction, du documentaire, de l'essai et de l'installation vidéo, son oeuvre est également travaillée par un burlesque volontiers autobiographique et compte plusieurs comédies. S'y exprime toujours un rapport complexe aux lieux, aux objets, aux autres, et finalement à elle-même, à son histoire personnelle et à ses origines (sa famille juive polonaise a connu la déportation et l'exil). Présentant une communauté d'esprit avec la génération de l'après Nouvelle vague, ses films témoignent d'une inventivité plastique, d'un goût pour l'expérimentation narrative et d'une rigueur de l'observation documentaire qui la poussent vers une analyse des comportements humains d'une rare acuité. La femme et sa condition en sont un motif essentiel.
Le Centre Pompidou lui rend hommage en montrant ses 39 films et en exposant deux installations vidéo ainsi que des photographies. Cet événement sera accompagné d'une rencontre, de deux lectures d'un texte de Chantal Akerman par Aurore Clément et d'un concert de Sonia Wieder-Atherton. À cette occasion, les éditions du Centre Pompidou et des Cahiers du cinéma publient un ouvrage sur l'ensemble de son oeuvre.
Autoportrait de Chantal Akerman en cinéaste, Éditions Centre Pompidou/ Cahiers du cinéma :
« On me dit ce serait bien pour le lecteur, le spectateur qu'il comprenne à demi-mot et à mi-voix pourquoi tu commences par une tragi-comédie où tu joues toi-même. Puis pourquoi tu t'en détournes apparemment pour aller vers des films expérimentaux et muets. Pourquoi ceux-là à peine achevés de l'autre côté de l'océan, tu reviens par ici et à la narration. Pourquoi tu ne joues plus et que tu fais une comédie musicale. Pourquoi tu fais des documentaires et puis que tu adaptes Proust. Pourquoi tu écris aussi, une pièce, un récit. Pourquoi tu fais des films sur la musique.
Et enfin à nouveau une comédie. Puis aussi depuis quelque temps tu fais des installations. Sans vraiment te prendre pour une artiste. À cause du mot artiste... »
Chantal Akerman
C'est par ces mots que Chantal Akerman ouvre son « autoportrait en cinéaste» où elle dévide un fil conducteur de sa vie et de son oeuvre. Ce texte écrit au présent lui permet d'organiser ce qui de son oeuvre est déjà réalisé, comme on monte un film. Le lecteur pourra naviguer au fil des pages entre des extraits de scénarios et de textes, documents de travail, souvenirs de famille, illustrations, photos de repérage, séquences de photogrammes. Elle écrit et raconte: son oeuvre est un récit, ses films ont d'abord été des textes. Ainsi les livres, les films, de tous formats, pour le cinéma, la télévision, en pellicule et en vidéo, pour les salles, pour les musées ou dans les circuits du film expérimental, documentaires ou comédies, les installations vidéo, toutes les formes d'expression en apparence si diverses de Chantal Akerman s'organiseront-elles autour de la propre vision qu'en propose aujourd'hui leur auteur. La dernière partie de l'ouvrage est composée de regards divers et multiples posés sur l'oeuvre de Chantal Akerman, à travers une quarantaine de textes, écrits, film à film, tant par des critiques de cinéma ou critiques d'art que par des cinéastes ou artistes, français, belges ou américains, des collaborateurs ou acteurs de la cinéaste: Jean-Michel Frodon, Babette Mangolte, Philippe Azoury, Gus van Sant, Todd Haynes, Vincent Dieutre, Boris Lehman, Christian Boltanski, Janet Bergstrom, Dominique Païni, Jacqueline Aubenas, Sylvie Testud, Aurore Clément, Laure Adler, Frank Nouchi, Cyril Béghin, Frédéric Bonnaud, Caroline Champetier, Jacques Mandelbaum, Lynn Cooke...
Un DVD est inséré dans le livre avec deux films de Chantal Akerman : Saute ma ville et Hotel Monterey (format 23 x 27, 192 pages, 300 photos couleur, broché avec rabats).
Samedi 5 juin–14h30 à 19h
Rencontre avec Chantal Akerman
Signature du livre de Chantal Akerman : Autoportrait de Chantal Akerman en cinéaste
Chantal Akerman, solitaire et chantante
Écoutez : une jeune fille qui fredonne en montant des escaliers, un homme qui raconte son mariage, une mère au téléphone, le vent dans les arbres, deux adolescentes chantant du Verdi, les pas d'une foule, les témoins d'une disparition, une sonate. Se promener dans l'oeuvre de Chantal Akerman, à travers documentaires et fictions, installations et textes, c'est prêter l'oreille à des sonorités discrètes du monde, tendre l'oeil à des bruissements d'espaces, de corps ou de visages. L'oeil écoute: sur les axes de longues perspectives, dans des cadres précisément composés, des événements ténus forcent l'attention à la manière de chuchotements. Rares sont les cris ou les images plus hautes que d'autres, les drames semblent s'assourdir dans les décors et les décors restituer des voix fantômes. Un art des absorptions et des résurgences fonde dans chaque image la présence d'une parole ou d'une musique lointaines et dans chaque parole ou musique, l'impression d'une autre image. Au début de son dernier film, Demain, on déménage (2004), un piano suspendu en plein ciel conjugue ces promesses en un raccourci fulgurant. Une petite foule impromptue l'observe, au bout de son câble, regard tendu, souffle retenu, comme à l'écoute d'un concert en apesanteur - toute sa musique est alors le reflet des nuages dans la laque noire. Trente ans avant, dans Je, tu, il, elle (1975), ce sont deux femmes faisant l'amour dans un lit blanc qui lestent l'image d'un même cri sourd. Les plans sont fixes, le lit est comme posé au bord du cadre, les corps bataillent longuement sous une lumière vive, jusqu'à vaincre le cliché homosexuel et nous laisser face au mystère de deux formes blanches s'enlaçant à l'infini. Peu de bruits, aucune parole, l'éloquence de l'image a été défaite de ce qui pouvait la relier à une histoire (qui sont ces deux femmes?) ou à un jugement (puisque cette sexualité est toujours d'abord jugée). Reste un érotisme impressionnant où les corps, comme le piano de Demain, on déménage, semblent suspendus pour longtemps dans un acte muet, d'avoir absorbé tous les bruits du monde. La protagoniste de Je, tu, il, elle a auparavant vécu quelques jours seule dans une chambre presque vide, à écrire et compter le temps, en voix off, dans une sorte de tentative de repli définitif sur elle-même ; et puis elle est sortie - au bord d'une route un camionneur l'emmène, on ne sait où, la drague, lui raconte sa vie. Elle écoute, ne dit rien, jamais. Chantal Akerman joue cette jeune nomade attentive qui, comme l'héroïne des Rendez-vous d'Anna (1978), alterne solitudes extrêmes et écoutes grandes ouvertes des autres avant de retrouver un corps plein, autonome, et de le chanter. Après sa cérémonie amoureuse, Je, tu, il, elle s'achève sur une comptine : « Entrez dans la danse, voyez comme on danse... » où rentrent parfois plusieurs voix qui fredonnent doucement, en résurgences timides d'un monde enfin repeuplé après ces passages à vide. « Je suis comme une éponge qui écoute d'une manière flottante. » Chantal Akerman explique ainsi sa manière d'aborder les sujets de ses documentaires, par une sorte d'attention distraite aux faits qui va, comme dans l'écoute flottante du psychanalyste, en libérer les puissances d'évocations, d'associations et d'émotions. Les grandes oeuvres « documentaires » que sont Hotel Monterey (1972), Un jour Pina a demandé (1983), D'Est (1993), Sud (1998) ou De l'autre côté (2003) semblent, sur trente années de travail, poursuivre la route lancée avec le camionneur de Je, tu, il, elle : Akerman elle-même, voyageuse muette, enregistre l'autre lorsqu'il se fait le narrateur de sa propre vie. Parfois, comme dans News From Home (1973) ou Chantal Akerman par Chantal Akerman (1996), c'est la cinéaste qui se raconte. Mais peu importe : l'essentiel est moins de savoir à qui appartiennent les voix et les histoires, ni même de décider d'un partage entre celles qui appartiendraient au documentaire ou à la fiction. Il faut plutôt constater une manière persistante d'alterner ou de tresser les longues plages de parole, jusqu'au pur monologue du Déménagement (1992), et les plans sans commentaires ni dialogues, qu'ils soient tout simplement muets comme dans Hotel Monterey ou témoins de vies silencieuses, dans les exodes et les transits de D'Est. Cette manière sert à la fois une éthique et une érotique. Côté éthique, une idée que résumerait une phrase de Lévinas souvent citée par la cinéaste: « Quand on voit le visage de l'autre, on entend déjà le mot "Tu ne tueras point". » « De la conscience que la parole de l'autre est doublée de l'écoute d'une sorte de commandement muet et impérieux émis par son image vient la règle rarement trahie, chez Akerman, selon laquelle on voit toujours celui qui parle. » L'image irréductible du corps vaut ainsi pour la singularité des paroles, jamais jugées ou renvoyées les unes aux autres mais toujours accueillies les unes après les autres, dans un équivalent des travellings qui sillonnent toute l'oeuvre : voix processionnaires qui disent des états de faits, petites histoires toujours incluses dans la grande, celle des guerres, des exterminations, des racismes, et y traçant des lignes d'exode. Côté érotique, une façon de jouer l'inadéquation de la parole à l'image ou de l'image à la parole, exciter en chacune les différences et les singularités pour risquer des ouvertures de sens et de sensations.
C'est ce que résume sur un mode théorique le personnage central de Demain, on déménage, jeune auteur qui doit écrire un livre érotique et, en manque d'imagination, va se réfugier dans un café. Là, elle pratique une sorte d'écoute flottante qui lui fait mélanger les bribes de plusieurs conversations, en un joyeux désordre qui lui donne les clefs de son travail. Et c'est ce que met en oeuvre sur un mode affectif la fiction précédente, La Captive (2000), où ce ne sont plus des femmes qui écoutent des hommes leur raconter des histoires de vie, mais un homme qui impose à l'image d'une femme des paroles et des histoires qu'il invente, en un balbutiement amoureux qui les sépare toujours plus, jusqu'à ce que l'image adorée s'effondre dans le noir. Ainsi des images peuvent disparaître complètement, pour mieux se taire face à ceux qui n'ont pas su les écouter. D'autres fredonnent, bruissent, chantent. Fredonnements : les rituels de Jeanne Dielman, les ritournelles et onomatopées de Saute ma ville, qu'accompagnent des gestes du quotidien, l'obstination joyeuse qui se lit sur les visages des deux héroïnes de J'ai faim, j'ai froid. Bruissements : une manière de laisser venir le désordre dans l'ordreserré des cadres, d'aimer le mouvement des feuilles sur les branches, des foules dans les rues, des menues agitations de silhouettes en fond de perspectives. Chant, enfin : l'affirmation majeure que chaque image, comme chaque corps, pourrait être seule, dans une autonomie plastique et une parole suffisante. Avec les installations vidéo qui ont accompagné D'Est ou De l'autre côté, l'oeuvre a accompli cette dispersion souveraine : les plans se libèrent du montage, font entendre chacun leur voix en concerts d'images. Dans Avec Sonia Wieder-Atherton, Chantal Akerman filme des musiciens jouant, derrière un élément de décor en contre-jour qui vient les surcadrer et les séparer. On croit d'abord qu'il y a deux images indépendantes, séparées par un intervalle de noir ; mais on comprend bientôt que derrière cette faille, l'espace est continu et que la musique s'y déploie dans toute son unité. Pourtant un trouble demeure : la division que l'on a vue atteint subtilement notre écoute, y produisant un infime effet de dislocation, comme si chaque interprète était, malgré tout, par-dessus la musique, parfaitement autonome. Ce trouble, qu'il concerne les corps ou les paysages, a toujours été présent dans les films de Chantal Akerman : de tout son art elle rend une voix solitaire et chantante à chaque chose qu'elle filme.
Cyril Béghin
Quand
tous les lundis, mercredis, jeudis, vendredis, dimanches