Le passé inaperçu

Le vaste tapis à peine coloré est bordé de « remarques » marginales noir et blanc où se déroulent, comme les séquences d’une bande dessinée, des motifs commentant la grande scène centrale : ce sont, en contrepoint, autant d’essais, de ratures, de glissements, de ruptures. À cet égard, la toile est exemplaire de l’écriture fluide qu’Alechinsky développe depuis 1965, date à laquelle il découvre à New York, auprès de Walasse Ting, l’utilisation de la peinture acrylique. La leçon de la scène artistique new-yorkaise s’y fait sentir – l’accueil favorable que lui réservera le public américain lors de sa première rétrospective au Solomon R. Guggenheim Museum en 1987, appelée précisément « Margin and Center », est significatif. L’immense diorama développé dans Le Passé inaperçu constitue un territoire naturel pour cette danse de figures fantasmagoriques qui, elles, appartiennent bien au répertoire familier du peintre. Ce sont en effet des résurgences des Gilles du carnaval de Binche qui peuplaient la jeunesse d’Alechinsky en Belgique ; costumes à grelots, hauts couvre-chefs en plumes blanches et floconneuses explosent ici et là, mêlent leurs bigarrures éruptives à tout un grouillement de formes dont Alechinsky restitue la vitalité, la drôlerie, l’exubérance. L’humour discursif de son écriture plastique – un carambolage de signes – y est, comme toujours dans son œuvre, redoublé par le titre – calembour, pirouette sonore ou glose. Le passé inaperçu ? Non sans nostalgie pour le peintre : les fantômes d’un paysage de plume et de neige font retour dans ce tournoi de danse, et disparaissent.

Agnès de la Beaumelle

Source :
Extrait du catalogue Collection art contemporain - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Sophie Duplaix, Paris, Centre Pompidou, 2007