Odalisque couchée, bras sur la tête

L'Odalisque couchée, bras sur la tête fut réalisée à Nice soit dans l'atelier improvisé de l'hôtel de la Méditerranée, soit durant les premiers temps de l'installation de Matisse place Charles Félix1. Les lithographies datées de 1922, doivent être rapprochées du dessin du MNAM dont elles furent certainement tirées. Le thème du « modèle sur une méridienne » est d'ailleurs récurrent dans l'œuvre de l'artiste, en particulier entre 1920 et 19262. Ce dessin au style cursif se développe comme une aimable causerie. Le travail qui s'y opère est celui d'une description machinale durant laquelle Matisse observe son sujet « en liberté » avant de « fixer la pose qui correspond le plus à son naturel »3. Ici, le modèle, doigts dans la bouche, s'abandonne au travail d'exploration graphique. Le dessin avoue ses repentirs. Le trait, hésitant, dédoublé, procède à une lecture morcelée du corps que ne sublime aucun parti de traitement esthétique. Il y a là notation d'un réel fragmentaire, fait de petites sensations mises bout à bout et dont le seul projet est une reconnaissance sensible. « La présence du modèle compte non comme une possibilité de renseignements sur sa constitution, mais pour me tenir en émotion, en état d'une sorte de flirt qui finit par aboutir à un viol. Viol de qui ? De moi-même, d'un certain attendrissement devant l'objet sympathique. »4

Les œuvres de ces années-là ne figurent encore que des odalisques de fortune, des nus en chambre. Et la surcharge des motifs n'y est pas le fait d'un arrangement artificiel mais celui de la déliquescence des vieux palaces de la Côte d'Azur après un siècle d'hivernage. La toilette, la méridienne, la cuvette et le broc à eau dénotent l'atmosphère de la pièce où se déroule l'ordinaire des séances de pose. Matisse évoque ainsi le choix pour sa résidence niçoise de l'hôtel de la Méditerranée: « Un vieil et bon hôtel, bien sûr ! Et quels jolis plafonds à l'italienne ! Quels carrelages ! On a eu tort de démolir l'immeuble. J'y suis resté quatre ans pour le plaisir de peindre des nus et des figures dans un vieux salon rococo. Vous souvenez-vous de la lumière qu'on avait à travers les persiennes ? Elle venait d'en dessous comme d'une rampe de théâtre. Tout était faux, absurde, épatant, délicieux. »5 Les qualités ambiguës de cet espace seront reconstituées par l'artiste dans son appartement de la place Charles Félix au moyen de mises en scène compliquées empruntant, en effet, au théâtre son jeu de trompe-l'œil, son éclairage, son apparat6.

Anne Baldessari

Notes :

1. Matisse séjourna à l'hôtel de la Méditerranée de 1918 au printemps 1921.

2. Cf. en particulier les œuvres suivantes : Deux femmes dans un intérieur, 1921 (huile sur toile, 92 x 73 cm, Musée de l'Orangerie, Paris); Femme au divan, 1920 (huile sur toile, 60 x 73,5 cm, Kunstmuseum, Bâle); Intérieur à Nice, femme assise avec un livre, 1920 (huile sur toile, 47 x 66 cm, Philadelphia Museum of Art, Philadelphie); Odalisque aux magnolias, 1923 (huile sur toile, 60 X 81 cm, collection D. Rockefeller); Nu allongé sur un sofa, 1923 (huile sur toile, collection particulière); Odalisque à la culotte rouge, aiguière et guéridon, 1926 (huile sur toile, 50 X 61 cm, Musée de l'Orangerie, Paris).

3. Notes d'un peintre sur son dessin, in Henri Matisse, Écrits et propos sur l'art, édition établie par Dominique Fourcade, Paris, Hermann, 1972, p. 162.

4. Ibid., p. 162, note 9.

5. Ibid., p. 123, note 83 (Carco, 1953).

6. On peut se reporter aux photographies représentant Matisse et son modèle durant les séances de pose ou Pierre Bonnard mimant une odalisque couchée (respectivement Archives du Museum of Modern Art, New York et Archives Hahn Winterthur, Suisse).

Source :
Extrait du catalogue Œuvres de Matisse, catalogue établi par Isabelle Monod-Fontaine, Anne Baldassari et Claude Laugier, Paris, Éditions du Centre Pompidou, 1989