L'Exécration du Père-Mère
avril 1946
L'Exécration du Père-Mère
avril 1946
Ámbito | Dessin |
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Técnica | Mine graphite et craie de couleur grasse sur papier |
Medidas | 64,5 x 49 cm |
Adquisición | Achat, 1980 |
Inventario | AM 1980-523 |
Información detallada
Artista |
Antonin Artaud (Antoine Artaud, dit)
(1896, France - 1948, France) |
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Título principal | L'Exécration du Père-Mère |
Fecha de creación | avril 1946 |
Lugar de realización | Réalisé à l'hôpital psychiatrique de Rodez |
Ámbito | Dessin |
Técnica | Mine graphite et craie de couleur grasse sur papier |
Medidas | 64,5 x 49 cm |
Inscripciones | Signé et daté en bas à droite au crayon : Antonin Artaud / avril 1946. Titré suivant les bords gauche et droite au crayon : l'execration / du Pere-Mère |
Adquisición | Achat, 1980 |
Sector de colección | Cabinet d'art graphique |
Inventario | AM 1980-523 |
Análisis
En proie à une débâcle corporelle et mentale qui lui a valu fin 1937 l’internement psychiatrique, Antonin Artaud est en ces temps de guerre, depuis 1943, à l’hôpital de Rodez, où il subit un traitement par électrochocs, et, à partir de juin 1946, dans la clinique du docteur Delmas à Ivry-sur-Seine. Pour l’auteur du Théâtre de la cruauté , le dessin devient un moyen de reconstruction de lui-même, tout comme le langage oral « premier » (des glossolalies criées ou chantées) qu’il invente alors, et l’écriture compulsive de ses Cahiers. Dessiner ne sera plus pour lui une affaire de style mais un combat, un « forçage » à « coups de sonde ou de butoir » pour donner une forme, une figure, au désastre : ses « dessins de guerre » sont ceux d’une guerre intérieure, intime, une guerre de reconquête et de réintégration d’un moi désagrégé. Les grandes feuilles que lui procure début 1945 le docteur Ferdière et qu’il macule, pointille et lacère au simple crayon noir ou de couleur, en constituent le dépôt, qu’Artaud déclare « gâché », « manqué ». Elles sont, prévient cet « insurgé de l’art », une « tentative grave pour donner la vie et l’existence à ce qui jusqu’à aujourd’hui n’a jamais été reçu dans l’art, le gâchage du subjectile, la maladresse piteuse des formes qui s’effondrent autour d’une idée après avoir combien d’années ahané pour la rejoindre. La page est salie et manquée, le papier froissé, les personnages dessinés par la conscience d’un enfant ».
Une telle expression graphique, qui méprise les formes et ne surgit que de soi, est alors inédite : par sa vérité, sa « maladresse » – une maladresse consciente, revendiquée –, elle bouleverse aussitôt Jean Dubuffet et quelques autres visiteurs de Rodez, ses amis Arthur Adamov et Marthe Robert, Henri et Colette Thomas, et justifie une première révélation parisienne à la galerie Pierre (Loeb) en 1947. Mais il faudra attendre les années 1960-1970 et l’intérêt de philosophes et d’intellectuels tels que Blanchot, Derrida, Foucault, Deleuze et Guattari, Susan Sontag, pour que soit dite la portée d’un tel langage de signes. Suivront, en même temps que grandit son influence sur les nouvelles générations, les reconnaissances officielles : exposition aux Sables-d’Olonne en 1980, au Centre Pompidou en 1987 ; puis à Marseille et au MOMA de New York ; consécration, enfin, avec la constitution, grâce au legs de sa première éditrice, Paule Thévenin, du fonds de dessins (plus de trente) au Musée. L’œuvre graphique est aujourd’hui regardé (tel a été le sens de la récente exposition à la BNF) en relation avec l’œuvre de cinéma et de théâtre : non seulement comme un « théâtre de curation cruelle », mais comme un des moyens que s’est donnés Artaud pour mettre à nu, et en scène, les multiples visages de son être, perçus comme autant de hiéroglyphes à décrypter. Il reste surtout indissociable de l’œuvre écrit, formant avec lui un travail global de mise à jour de « sortes de vérités linéaires patentes qui [valent] aussi bien par les mots, les phrases écrites, que le graphisme d’éléments, de matériaux, de personnages, d’hommes ou d’animaux ». De fait, l’écriture des cahiers d’écoliers qu’il remplit à Rodez et à Ivry, déroulée comme sous l’effet d’un même sismographe que les dessins, est nourrie de graphismes, de pictogrammes. À leur tour, ses feuilles dessinées, souvent accompagnées de sa voix, sont à entendre : avec les images viennent en effet de nombreux commentaires qu’il fournit pour les éclairer et les justifier, ainsi que des injonctions, des mises en demeure sur leur sens. Ces « mélanges de poèmes et de portraits, d’interjections écrites et d’évocations plastiques […] qu’il faut accepter dans la barbarie et le désordre de leur graphisme »(4-20 juillet 1947), sont à considérer, dit-il, non comme des « œuvres », mais comme des preuves visuelles de sa « suppliciation », des suppliques.
Certains dessins de Rodez, exécutés entre janvier 1945 et mai 1946, sont ainsi « écrits avec des phrases qui s’encartent dans les formes afin de les précipiter » ( L’Être et ses fœtus , Poupou rabou , La Machine de l’être ou Dessin à regarder de traviole , MNAM). Une « bouillabaisse de formes » emplit un espace à l’impossible organisation, où s’accumulent des ébauches d’êtres, des formes larvées, des armes – clous et instruments de torture – des déjections, des sexes, des caisses, des membres tronçonnés, tous éclats épars d’un corps sans organes :« J’ai fait venir parfois, à côté des têtes humaines, des objets, des arbres ou des animaux parce que je ne suis pas encore sur des limites auxquelles le corps du moi humain peut s’arrêter. » Artaud y insère parfois son visage : dans L’Inca , 1946, sorte de tatouage de son image sur le papier, il est mi-oiseau mi-homme, agglomérat improbable de signes grossiers, encadré de boîtes et de scies. Des « totems d’êtres » apparaissent – déjections éparses de corps non constitués, architectures osseuses étirées en poteaux ou en amas hiéroglyphiques, visages féminins enchâssés dans des cercueils cloutés, qu’il appelle des « canines croissantes », des « mâchoires de son cerveau ». Ses dessins, qui sont de cruauté et d’insurrection, expulsés « jusqu’à ce que la fibre de la vie grince » ( La Maladresse sexuelle de dieu , L’Exécration du Père-Mère , 1946), gardent la fonction exorcisante et conjuratoire des Sorts brûlés envoyés de Dublin, de Sainte-Anne et de Ville-Évrard. « Maladroitement dessinées, pour que l’œil qui les regarde tombe », ces « misères », ces « ébauches » n’opèrent pas sur le visible (et la réussite du visible), mais intègrent le ratage, par lequel le non-dit, le non-formé, le non-né émergent. La pointe du crayon gris métallique griffe, perfore, tandis que la craie de couleur incandescente rouge et bleue tente de donner vie et sang.
Dans les dessins beaucoup plus concertés qu’Artaud exécute dans sa chambre de la maison de santé d’Ivry, de juin 1946 à janvier 1948, période où il écrit notamment Van Gogh. Le suicidé de la société , réapparaît la tête ou, plutôt, le visage : car « le visage humain est provisoirement/je dis provisoirement/tout ce qui reste de la revendication révolutionnaire d’un corps qui n’est pas et ne fut jamais conforme à ce visage ». Les têtes coupées au-dessus de la « boule à cri », souvent entourées d’une gangue de mots conjuratoires ou de chevelures de feu qui les enchâssent, sont plus que des portraits – de lui-même ou de ses proches (Paule Thévenin, Roger Blin, Henri Pichette, Minouche Pastier, Jacques Prevel, Arthur Adamov, Colette Thomas) : ce sont des mises à jour paroxystiques (et jouées devant le modèle) de l’être inné, secret, c’est-à-dire de ses forces de vie et de mort, de ses terreurs et de ses souffrances, de son anarchie profonde. Le dernier Autoportrait , que livre en décembre 1946 l’auteur du terrible Pour en finir avec le jugement de dieu , fait état de sa lutte, presque triomphante, contre le « champ de mort » : il y déploie en un arc puissant son buste emblématique, corps glorieux constitué de ses disjecta membra (tête, mains, oreille, totems). Le trait de la mine graphite, qui balaie la feuille, la tatoue comme une peau ou la caresse de ses estompes, est modulé comme une voix tour à tour perçante ou feutrée : la feuille entière s’institue pectoral cuirassé, armure contre ce « subjectile » inerte qu’Artaud, depuis Le Pèse-nerfs et L’Ombilic des limbes , n’avait cessé de combattre. Dans les derniers dessins de janvier 1948, un treillis serré, noueux, de graphes et de figures forme un espace incantatoire, peuplé des fantômes qui lui sont chers.
Agnès de la Beaumelle
Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008