Nature morte

De Biélorussie, Michel Kikoïne arrive à Paris, en 1912, fuyant, avec Paul Krémègne, les violences antisémites de la Russie. Il est rejoint, l’année suivante, par Chaïm Soutine. Tous trois sont les ferments de la « première école de Paris », un instant de l’entre-deux-guerres pendant lequel une génération d’artistes exilés vient chercher dans la capitale française la liberté et un foyer artistique. Si Kikoïne fréquente l’ensemble du milieu parisien, il reste paradoxalement distant des avant-gardes qui s’y croisent dans la première moitié du siècle. Dès ses premières toiles, Kikoïne s’installe dans un travail solitaire, nourri par une éducation artistique déjà avancée. S’il s’approprie la leçon de Cézanne avec un certain lyrisme, il reste fidèle à l’influence de Rembrandt – partagée par nombre de peintres juifs de l’Est –, et forge sa manière expressionniste à partir de l’impressionnisme poétique, mais teinté d’accents réalistes du grand paysagiste russe Isaac Levitan (1860-1900). Paysages, natures mortes et portraits – ses thèmes privilégiés – lui servent à exercer ses talents de coloriste et à travailler une touche épaisse. À partir du milieu des années 1920, le peintre commence à fréquenter le village d’Annay-sur-Serein (Yonne), un cadre propice aux paysages peints sur le motif et à la réalisation de natures mortes, dont celle-ci, qui fut la première acquise, en 1933, par l’État français, avant Enfant ramassant des fruits (1950), acquise en 1956, et Nature morte au faisan (1950), acquise en 1962. Précédant de quelques années Nature morte, retour de chasse (1937-1938) – offerte en 1978 au Musée par Claire Maratier et Jacques Yankel, avec quatre autres peintures importantes de Kikoïne, réalisées entre 1918 et 1950 –, cette toile, datée du début des années 1930, dépeint un même trophée de chasse. Deux oiseaux posés sur une nappe blanche, un autre suspendu en arrière-plan accompagné d’un lapin, s’articulent dans une composition organique aux couleurs vives et à la perspective chancelante.

Olivier Michelon

Source :
Collection art moderne - La collection du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne , sous la direction de Brigitte Leal, Paris, Centre Pompidou, 2007