Sans titre
été 1929
Información detallada
Artista |
Joan Miró
(1893, Espagne - 1983, Espagne) |
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Título principal | Sans titre |
Fecha de creación | été 1929 |
Lugar de realización | Montroig |
Ámbito | Dessin | Collage |
Técnica | Mine graphite, crayon Conté, papier de verre, papier goudron, fil de fer, chiffons cousus, collés sur papier vergé fixé sur carton gris |
Medidas | 74,4 x 73,7 x 7 cm |
Inscripciones | S.D.H.M.R. à l'encre noire : Miró/été 1929 |
Adquisición | Achat, 1996 |
Sector de colección | Cabinet d'art graphique |
Inventario | AM 1996-394 |
Análisis
La série de collages – vingt-deux répertoriés à ce jour – réalisés par Miró dans sa ferme familiale de Montroig, au sud de la Catalogne, pendant l’été et l’automne 1929, s’inscrit dans un processus d’investigation critique de sa création par l’artiste. Désignés au départ à son marchand Pierre Loeb, prudemment, comme de simples « exercices d’entraînement, de souplesse », ils ont aussitôt éveillé l’attention des milieux d’avant-garde lors de leur présentation à Paris : d’abord à la galerie Pierre, en mars 1930, puis à la galerie Goemans, en avril, dans le cadre d’une exposition collective de collages intitulée par Aragon « La peinture au défi ». Longtemps reléguées, par la suite, dans les marges de la production de l’artiste, ces œuvres au premier abord brutal et rébarbatif ont connu récemment un regain d’intérêt, pour illustrer la proximité de Miró avec l’esthétique de l’informe défendue à la fin des années 1920 par Georges Bataille. De fait, elles s’inscrivent dans la vague d’anti-esthétisme qui, à Paris comme à Barcelone, s’est alors propagée parmi les milieux surréalistes dissidents et orthodoxes (notamment chez le jeune Dalí, au travail duquel Miró était très attentif).
Miró lui-même proclame à partir de 1927 qu’il entend « assassiner la peinture » et, à cette fin, il recourt en 1928, puis, surtout, en 1929, aux pratiques de l’assemblage et du collage, faisant primer la fabrication sur la figuration, le tactile sur le visuel, en insistant sur l’hétérogénéité et sur la pauvreté des matériaux. Lambeaux de chiffons, bouts de fil de fer, papiers divers, de même que ces plaques goudronnées employées par les ouvriers couvreurs, incarnent une esthétique des rebuts – notamment ceux du machinisme moderne –, transformés en objets étranges dont l’évidente fragilité et le caractère éphémère accroissent le pathétique : « affirmation invincible du provisoire et des matières temporelles et périssables » à laquelle Tristan Tzara a rendu hommage dans les Cahiers d’art en 1931. Ce bricolage brinquebalant s’oppose nettement aux collages cubistes – dont il dénonce la prétention à célébrer l’autonomie des signes plastiques. Mais il a surtout pour objectif de mettre à mal les séductions de la peinture : sur un plan formel d’abord, en renonçant aux prestiges du chromatisme dans lequel Miró excellait avec tant d’aisance reconnue ; et sur un plan iconographique, en simplifiant et en disjoignant le grouillement de figures imaginaires qui peuplaient certaines de ses toiles surréalistes. À ce titre, le collage d’après Intérieur hollandais I , généralement considéré comme l’un des premiers de la série, est remarquable, puisqu’il constitue une image au troisième, ou même au quatrième degré, déconstruisant une toile de Miró où ce dernier s’attaquait déjà à une carte postale représentant à son tour un tableau de genre hollandais du xvii e siècle. Au total, c’est à l’encontre de l’imaginaire et du métaphorique comme tels que s’exerce la violence de l’artiste, au profit de la présence brute des matières, dans l’inquiétante étrangeté d’assemblages où le dessin serpente péniblement, hésite, sans cesse interrompu par les variations du fond – ce fond auquel Miró accordait depuis longtemps une importance primordiale et dont, en l’occurrence, il a voulu manifester l’irruption par un jeu complexe de superpositions et de décollements.
À partir de là, un singulier glissement s’opère, de l’autocritique à l’autosacrifice : il ne s’agit pas seulement de détruire quelque chose « à l’intérieur de la peinture », comme l’a dit l’artiste, mais de produire des objets démembrés comme des plaies ouvertes, qui devraient tirer de leurs mutilations une puissance pseudo-magique. Les nappes de goudron semblent faire écho aux croûtes de matières sacrificielles sur certains objets africains, montrés au musée d’ethnographie du Trocadéro et aimés des surréalistes ; avec ses caractéristiques contradictoires de noirceur et de brillance préfabriquées, ce « goudron noir des morts », comme l’écrivait Carl Einstein dans Documents , devient alors le plus efficace fossoyeur de « l’acrobatie anecdotique » que ce critique proche de Georges Bataille dénonçait dans la peinture d’obédience surréaliste, y compris celle de Miró lui-même.
Déconstruction critique de la peinture, désir utopique d’efficacité magique, mais aussi humour et grotesque, se riant en sous-main de tout cet affairement : tout cela s’entrelace à une sorte de confiance paysanne accordée, en amont de tout discours, à la simplicité originelle du geste humain, immergé dans la matière, qu’il doue de présence. C’est dire que l’aura de ces collages procède surtout de l’irréductibilité de leur sens : cosmiques et telluriques, allégoriques et immanents, figuratifs et abstraits, tactiles et visuels, magiques et grotesques, harmonieux et désarticulés, ils fondent sur la cohésion énigmatique de leurs contradictions internes un pouvoir de fascination qui se déploie au-delà des dogmes esthético-idéologiques, d’où ils procèdent pourtant.
Rémi Labrusse
Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008