Les lutteurs

Camille Bombois est certainement l’un des plus talentueux « primitifs modernes ». Fils de batelier, il passe son enfance en Bourgogne sur un chaland. À l’âge de douze ans, il est placé comme garçon de ferme, puis il s’engage dans un cirque comme lutteur de foire. Mais le jeune garçon n’aspire qu’à peindre et à venir à Paris. En 1907, il est recruté comme terrassier par la Compagnie du Métro de Paris. Il travaille ensuite de nuit dans une imprimerie pour pouvoir peindre dans la journée. En 1922, il expose pour la première fois à la « foire aux croûtes », près du Sacré-Cœur, où il rencontre un marchand d’art nommé Mathot. C’est probablement chez ce dernier que le collectionneur et marchand, Wilhelm Uhde, découvre les premiers tableaux de Bombois et lui achète une grande partie de sa production. En 1927, il participe à l’exposition organisée par Uhde « Les Peintres du Sacré-Cœur » à la galerie des Quatre-Chemins, avec le Douanier Rousseau, Séraphine de Senlis, Utrillo, Vivin et Bauchant. Dès lors, l’artiste multiplie les paysages, les personnages de cirque et les nus plantureux, souvent inspirés par son épouse (Nu aux bras levés, 1925, don de Cécile Grégory, AM 2888 P).

Présenté pour la première fois à l’exposition « Les Maîtres populaires de la réalité », organisée par Andry-Farcy, en 1937, à la Salle Royale de Paris puis au Kunsthaus de Zurich, Les Lutteurs, tout comme Au bras d’acier (1920) et L’Athlète forain (1930, don de Cécile Grégory, AM 2810 P), représente une scène de la vie foraine que l’artiste a lui-même vécue. Antérieurement intitulée Double prise d’épaule à terre, le tableau décrit avec précision les positions adoptées par les lutteurs pendant le combat. La composition est conçue comme un nocturne, dont l’éclairage renforce la présence des athlètes qui se détachent sur le fond sombre. La nudité de la scène, la simplicité du dessin et l’éclat des couleurs focalisent le regard sur l’action centrale au détriment des spectateurs, représentés de façon schématique. Contrairement à N. Gontcharova, qui empoigne le même sujet (Les Lutteurs, 1909-1910, AM 1988-878) avec une puissance colorée et formelle équivalente à la violence du combat, Bombois, passé maître dans l’art d’« intensifier jusqu’au pathétique l’expérience vécue des choses » (W. Uhde, Cinq maîtres primitifs, 1949, p. 115), le fige dans une atmosphère statique irréelle.

Nathalie Ernoult

Source :
Extrait du catalogue Collection art moderne - La collection du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, sous la direction de Brigitte Leal, Paris, Centre Pompidou, 2007