Etude de deux visages

Le dessin Étude de deux visages peut être daté de 1906-1907. Il témoigne des recherches engagées par Matisse sur le thème du portrait. Cette période est en effet riche en toiles, dessins et sculptures tendant à définir une représentation emblématique du modèle1. De face, le visage impose ici une symétrie d'autant plus pressante que les yeux — grand ouverts — fixent le spectateur. Ce choix permet à Matisse d'organiser un espace-plan, sans profondeur, sur lequel le buste et la tête projettent leurs contours et leurs traits : arcatures du nez, des yeux, de la bouche. Le visage se fait signe et le dessin s'affirme comme un pictogramme identitaire.

Étude de deux visages présente, sans doute, Madame Matisse et son fils Jean. Chacun des personnages y est traité à une échelle symbolique — grande tête et petite tête — et réduit à la combinaison de quelques caractères distinctifs. Ceux-ci font l'objet d'un renforcement schématique qui concentre leur capacité expressive dans une « icône » à la fois ordinaire et spécifique, rassemblant l'histoire de l'individu. L'enjeu final est une simplification plastique menant le portrait à son point ultime de radicalisation : facialité, bidimensionnalité, figuration signalétique. En 1906, Matisse fait la découverte de l'art nègre2 et le croisement qu'il opère entre caricature, art primitif et « art naïf » trouve ici l'un de ses premiers échos.

Anne Baldessari

Notes :

1. Se reporter aux toiles : L'Idole, 1906 (collection particulière, Ascona); La Bohémienne, 1906 (Musée de l'Annonciade, St-Tropez); Le Jeune marin I et II, 1906 (collection particulière); Autoportrait, 1906 (Statens Museum for Kunst, Copenhague); Marguerite, 1906 (collection particulière); Portrait de Nono, 1907 (The Museum of Modern Art, New York); Marguerite, 1907 (Musée du Louvre, Paris). Cf. également le dessin représentant la famille Matisse et possédant un caractère caricatural très marqué.

2. « Matisse parle à Tériade », in Henri Matisse, Écrits et propos sur l'art, édition établie par Dominique Fourcade, Paris, Hermann, 1972, p. 121: « J'allais souvent chez Gertrude Stein rue de Fleurus, et en m'y rendant je passais chaque fois devant un petit magasin d'antiquités. Je remarquai un jour dans la vitrine une petite tête de nègre, sculptée sur bois, qui me rappela les immenses têtes de porphyre rouge des collections égyptiennes du Louvre. J'avais le sentiment que les méthodes d'écriture des formes étaient les mêmes dans les deux civilisations, quelque étrangères qu'elles fussent par ailleurs l'une à l'autre. J'ai donc acheté cette tête pour quelques francs et l'ai emportée chez Gertrude Stein. J'ai trouvé là Picasso qui en fut très impressionné. Nous en avons longuement discuté, et ce fut le début de notre intérêt à tous pour l'art nègre — intérêt dont nous avons peu à peu témoigné dans nos tableaux...»

Source :
Extrait du catalogue Œuvres de Matisse, catalogue établi par Isabelle Monod-Fontaine, Anne Baldassari et Claude Laugier, Paris, Éditions du Centre Pompidou, 1989