Ni fait, ni à faire

L’œuvre de Bernard Frize, que beaucoup considèrent comme l’un des peintres les plus importants de sa génération, n’a rien de systématique – pas même, du reste, dans son refus du système. Ladite œuvre ne se présente nullement comme l’accomplissement d’un programme dont les termes seraient dès le départ explicites, ou dont chaque étape pourrait se déduire de la précédente. Inventer de nouveaux modes de faire, laisser une part à l’aléa (le simuler éventuellement), cultiver les antagonismes, souligner les oppositions (en suscitant à l’occasion de fausses analogies) : voilà la sorte d’éthique – la morale en peinture – à laquelle l’artiste, en une relance contemporaine de la posture maniériste, s’en remet depuis ses débuts au milieu des années 1970. Frize réalise alors une série de tableaux abstraits exécutés à l’aide d’un « traînard », pinceau qui ne laisse qu’une ligne des plus ténues et sert ordinairement au rendu de détails infimes. Variant au maximum les couleurs employées, il recouvre sa toile d’une trame serrée de fines touches semblables à des fils. La surface ainsi obtenue suggère fortement un tissu grenu, une toile un peu lâche qui mimerait la nature du support, en une mise en abîme non dépourvue d’un goût certain pour l’ironie. Dans Ni fait, ni à faire, comme dans la plupart des tableaux de la seconde moitié des années 1980, il s’agira de se tenir pour ainsi dire au bord de l’image , à la lisière d’une figuration que la procédure peut ou non faire advenir. À propos d’une œuvre de 1987, Villahermosa , qui servit de matrice à celle-ci, Frize écrivait ainsi : « Une idée ne se voit pas : elle n’a ni forme, ni matière. Pourtant, une peinture peut être “à l’image” d’une idée. »

Jean-Pierre Criqui

Source :
Extrait du catalogue Collection art contemporain - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Sophie Duplaix, Paris, Centre Pompidou, 2007