Venice Beach

Au tournant du millénaire, Pierre Moignard effectue son premier séjour sur la côte Ouest des États-Unis. Sur les rives du Pacifique, il se montre indifférent aux hercules de Muscle Beach , comme aux vénus écarlates des guérites de surveillance des maîtres nageurs. Son attention se porte sur le peuple des sans-logis qui ont fait de Venice Beach leur demeure sous les étoiles. Ces homeless (dont il apprend bientôt le statut de vétérans des guerres de l’Amérique) deviennent les sujets presque uniques de ses tableaux californiens. À l’abri de leurs sacs de couchage bariolés, les dormeurs de la plage offrent l’image d’une corporalité informe. Moignard y voit l’écho réaliste des recherches qu’il a menées jusque-là (dans sa série des « Compossibles ») à l’ombre de Francis Bacon. Devenus ectoplasmes colorés, les « Vétérans » défient la géométrie d’un espace pictural artificiellement structuré, conçu par Moignard pour conjurer l’infini des plages du Pacifique. En s’efforçant d’imposer un ordre à la désespérante vacuité des côtes de Los Angeles, en y inscrivant les traces d’une figuration fantomatique, Moignard se souvient de Richard Diebenkorn : dans sa série « Ocean Park », le peintre de Santa Monica avait donné une forme claire et structurée à ces paysages qui défient toute tentative de synthèse plastique. La silhouette d’une cabine de maître nageur, quelques poubelles schématiques, les images improbables de guerriers déchus composent le petit théâtre où Moignard met en scène le drame silencieux de l’Amérique contemporaine.

Didier Ottinger

Source :
Extrait du catalogue Collection art contemporain - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Sophie Duplaix, Paris, Centre Pompidou, 2007