La voie lactée

Pierre Bettencourt découvre la peinture avec Dubuffet, au début des années 1950, en chassant le papillon qu’il considère comme son « premier maître à peindre, car il est un modèle de métamorphose », écrit-il en 1971 (P. Bettencourt, Les Hauts-Reliefs de Pierre Bettencourt, Paris, Hachette, 1971, p. 9). Mais sa vocation première est la littérature : grand lecteur de Sade, il édite des textes de Paulhan, Artaud, et Michaux, ce dernier écrivant la préface de sa première exposition à la galerie Drouin en 1956. Ses voyages également, fort nombreux à partir de 1947, dans des pays de très ancienne culture (Afrique, Océanie), façonnent son imaginaire et lui apprennent – puisque de son propre aveu, il ne sait pas peindre à l’huile – à utiliser des matériaux exclusivement trouvés dans la nature. Ainsi ce haut-relief de La Voie lactée, composé de matériaux précaires (ardoise, coquilles d’œuf, tessons de terre cuite, fragments de miroir), qui fait partie de l’ensemble des vingt-trois hauts-reliefs présentés par la galerie Daniel Cordier en 1964 (six d’entre eux, réalisés entre 1957 et 1967, appartement au fonds DBC, donné en 1982, ou de la donation de 1989). L’œuvre s’ordonne à partir d’un cadre architectural qui est une sorte de façade géométrique, statique, aux couleurs métalliques. Elle se détache d’un fond, formé d’éclats de miroir peints en noir, composant une mosaïque d’étoiles, qui pourraient avoir donné son titre au relief. Constitués de toitures d’ardoises posées avec la minutie d’un couvreur, et soutenus par des colonnes, les murs de cette architecture servent, nous dit l’artiste, « surtout à défendre du ciel, à s’en isoler ». Enfermées dans cet édifice cloisonné, six femmes nues aux corps voluptueux et à l’expression torturée regardent ce dieu d’ardoise aux cheveux filasse, qui, tel un sacrificateur païen, poignarde une victime agenouillée sur un autel noir. Ses plumes de dieu Inca, taillées dans des éclats de miroir, se retrouveront dans le glaive énucléateur d’un autre assemblage de la donation, La Conversion de saint Paul (1956, AM 1989-237), associant également éros et thanatos. « Peinture impure. Chargée, obsédée, possédée », selon Michaux (préface au cat. exp., Paris, galerie René Drouin, 1956), cette scène traduit, une fois de plus, un des thèmes obsessionnels chers à Bettencourt, celui du sacrifice, dans sa dimension sadienne.

Bénédicte Ajac

Source :
Extrait du catalogue Collection art moderne - La collection du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne , sous la direction de Brigitte Leal, Paris, Centre Pompidou, 2007